Anna Politkovskaya (lundi, 11 juin 2007)

Anna Politkovskaya condamnée au silence à perpétuité
Anna Politkovskaya réduite au silence pour avoir parlé.
La vérité tue.

Comment pourrait-on exprimer tout ce qui bouillonne en nous : la colère, le désespoir, la tristesse, la rage, le sentiment d’impuissance ?
Comment dire cette envie d’hurler et en même temps cette pesanteur, cet engourdissement de la volonté devant une telle violence, devant un tel arbitraire, une telle impunité ?
Quels mots pour raconter le dégoût que nous inspirent la guerre en Tchétchénie, les morts, les disparus, les destructions, et, terrible, le déni de cette barbarie, les plaies vives recouvertes d’enduit, de peinture et de plâtre dans un Grozny transformé en chantier géant ?
Car les mots sont des armes, c’est bien connu, et ils peuvent tuer, ou plutôt condamner à mort. Ils l’ont prouvé, le 7 octobre 2006, en plein centre de Moscou. Une femme qui venait de faire ses courses portait ses sacs de provisions dans son appartement. Mais à la sortie de l’ascenseur l’attendait un meurtrier. Une balle dans la poitrine, une autre dans la tête. Vivante, morte.
Elle était journaliste. Immédiatement, quelques minutes après la découverte de celle qui n’était plus une femme vivante mais déjà un cadavre, l’information était transmise, publiée – et on ne parlait d’Anna Politkovskaya plus qu’au passé.
Elle était journaliste. Elle était courageuse. Elle était surprenante. Elle était dérangeante. Dès 2000 elle a ouvert non pas une autoroute, mais un chemin, un sentier pour les journalistes et les autres, avides de vérité, vers la Tchétchénie dévastée une deuxième fois en dix ans par la guerre. Elle a montré que c’était possible d’y travailler en dehors des sentiers battus, à ses risques et périls, bien sûr, mais de parvenir tout de même à recueillir la vérité et la restituer, à briser le huis-clos dans lequel les autorités voulaient maintenir le conflit.
Elle a prouvé que l’humain, avec toutes ses faiblesses et avec toute sa grandeur, peut résister à la machine infernale, au rouleau compresseur du pouvoir armé et décidé à en finir avec l’ennemi auto-proclamé, en l’occurrence avec les Tchétchènes dans leur ensemble. Elle a sans relâche dénoncé les crimes commis par l’armée russe en Tchétchénie contre des civils, au nom de la lutte anti-terroriste, mais aussi par les combattants tchétchènes, puis par les hommes de Kadyrov, l’homme fort de Tchétchénie depuis plusieurs mois maintenant, premier ministre, autocrate et héritier de son père Akhmad Kadyrov, président tchétchène pro-russe assassiné en mai 2004 à Grozny, devenu un mythe fabriqué de toutes pièces.
Que nous reste-t-il devant ce crime ? Evitons de pleurer sur notre sort, pensons plutôt aux proches, à la famille et aux collègues d’A. Politkovskaya. Et tâchons d’apporter tout notre soutien à ceux qui, comme elle, se battent pour que la vérité soit dite, sorte, éclate. Pour que les meurtriers, leurs commanditaires, et tous ceux qui avaient intérêt à ce que cette femme se taise pour toujours ne dorment pas sur leurs deux oreilles. Pour dire à ceux qui ne se disent pas concernés combien il nous semble vital de se battre pour la justice. Et contre la barbarie.
Pour que ce meurtre, la mort de cette grande femme ne reste pas impunis, faisons en sorte de ne jamais l’oublier, de convertir la rage qui nous emplit aujourd’hui en un désir toujours plus accru de savoir.

Bleuenn Isambard.


Merci à Bleuenn pour ces deux textes, des 9 et 11 juin.
Bleuenn, qui parle russe couramment, a passé plusieurs années en Russie et en Tchétchénie avec "Médecins du monde".
Je suis heureuse et honorée de l'avoir accueillie sur ce blogue.
Rosa

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