Le Rapport de Brodeck (jeudi, 22 novembre 2007)

J'ai terminé il y a quelques jours "Le Rapport de Brodeck" de Philippe Claudel. J'ai hésité à en parler car ce roman nous maintient dans le même thème : celui de la dernière guerre. Mais il s'agit moins de l'Histoire que d'événements vécus en marge, par des gens simples.
"Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien." Le récit se clôt comme il commence. La maîtrise du récit est la grande qualité de Philippe Claudel. On avait même oublié qu'il y avait encore des écrivains capables de raconter une histoire...
Au début de cette histoire, un meurtre collectif, perpétré et assumé par les hommes d'un village, sous la conduite de leur maire. Quelque part, dans un pays de forêts, dans une région qui pourrait être l'Alsace ou la Lorraine, un an après la guerre. Et Brodeck sera chargé par le maire de faire un compte-rendu du meurtre auquel il n'a pas assisté...Pourquoi ? mystère !
Brodeck est l'homme instruit du village et il a une machine à écrire. L'homme assassiné, quant à lui n'a pas de nom : il est arrivé dans le village quelques mois auparavent, il ne venait de nulle part. Mais il était "différent", tellement différent qu'il en est devenu insupportable. Brodeck l'appelle l'Anderer, "l'Autre".
Ce n'est pourtant pas l'histoire de l'Anderer que nous raconte Brodeck, c'est la sienne...
Lui aussi a été l'étranger, ce qui lui a valu d'aller en camp de concentration.
Nous voilà ramenés aux origines de la destruction d'un être humain, en camp ou dans le village, en temps de paix.
Jean Hazfeld, qui a reçu le prix Médicis pour la "Stratégie des Antilopes" disait, que la caractérisque du génocide était de réduire l'homme à la condition de l'animal, aussi bien le bourreau que la victime.
C'est ce que Philippe Claudel reprend dans son roman : en camp de concentration, Brodeck devient "le chien Brodeck" pour survivre.
Pourquoi ?
Par peur de l'Autre, de sa différence. L'ignorance est le bouillon de culture de cette peur et le milieu clos-le village- entretient l'ignorance.

"C'est bien la peur éprouvée par d'autres, beaucoup plus que la haine ou je ne sais quel autre sentiment, qui m'avait transformé en victime."

Le meurtre de l'Anderer n'arrive pas sur un simple coup de folie des hommes du village, au début il est même bien accueilli. Des signes, des indices même antérieurs à sa venue l'avaient annoncé. L'Anderer, personnage christique, révèle aux hommes leur vérité : il en mourra.

Michel Tournier avait déjà écrit dans plusieurs ouvrages, sur le rejet du nomade par le sédentaire en prenant pour exemple l'un des plus anciens mythes de la Bible, le meurtre d'Abel par Caïn. Ils étaient frères mais Abel est berger et nomade alors que Caïn est cultivateur et sédentaire. J'ai aussi retrouvé, dans le "Rapport de Brodeck", avec un autre éclairage, la pensée de Michel Tournier.

Mais le roman n'est pas désespéré grâce à deux très beaux personnages féminins, une grand-mère et une petite-fille, rayon de soleil du livre.
Et puis quand on est l'Autre, rejeté, il reste une solution : partir. C'est ce que fera Brodeck, Brodeck qui a survécu au camp de la mort.

19:26 | Lien permanent | Commentaires (15) |  Facebook |  Imprimer