Ma Jian (samedi, 24 octobre 2009)

Pascal Duperrier est un visiteur de ce blogue. Nous partageons le même intérêt pour la Littérature chinoise contemporaine mais lui est sans doute plus attiré par les auteurs dissidents. IL m'a ainsi fait découvrir Ma jian.

10728_1117647392412_1563837552_30259348_499731_n.jpgMendiante de Shigatzé (Editions Actes-Sud) qui est bien plus qu'un simple récit de voyage. En cinq récits, Ma Jian nous livre le Tibet de tous les jours, tel qu'il l'a découvert. Mais ces récits, à l'origine parus dans une revue littéraire chinoises, lui valent les foudres des autorités officiellement en raison de sa vulgarité et de l'image qu'il donne du peuple tibétain. Les descriptions — celles des funérailles célestes durant lesquelles les cadavres sont livrés aux vautours, celles des incestes, des viols, des mortifications… —, aussi insoutenables que fascinantes, n’ont pas manqué de susciter les foudres de la censure en ce qu’elles prêtent d’irréductible singularité à un peuple supposé se fondre dans la grande Chine. Ces récits ont été interdits en Chine et la revue qui les avait accueillis fut suspendue et son directeur révoqué. Et l'auteur condamné à faire son autocritique. Mais c'est bien mal connaître Jian Ma. Il va faire son autocritique mais aussi la publier.


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Chienne de vie (Editions Actes-Sud) est l'autocritique que fit Jian Ma. Au cours de la révolution culturelle, Monsieur Xu, professeur de dessin, a connu la déchéance et payé d'exclusion son "droitisme". Dix ans ont passé. Le narrateur, son ancien élève, est en route vers celui qui demeure, dans sa mémoire, un maître adulé et haï... Ce professeur n'est autre que la Chine elle-même, bien sûr. Cette fois, c'est la violence de ses aveux qui fascine. A petites touches furtives, parfois coupables jusqu'à la nausée, une confession prend forme. La trahison, la corruption d'un idéal, la profanation que le temps inflige à la pureté des premiers élans... Pour les autorités, la coupe était pleine et on lança un mandat d'arrêt contre lui pour "pollution spirituelle". Jian Ma prend donc la fuite.


10728_1117651192507_1563837552_30259361_5993096_a.jpgChemins de poussière rouge (Editions de l'Aube) Jian Ma raconte sa propre odyssée de 3 ans à travers le Tibet, les déserts ou les côtes sud de la Chine, pays intolérant à ses yeux où l'autorité est "répressive et hypocrite". Au cours de ce long périple en charrette, en bus, et le plus souvent à pied, avec seulement un sac à dos, il poursuit une quête intérieure, liée à sa relation avec le bouddhisme. Il a même prononcé des vœux bouddhistes. Il a écrit un poème dans la ville de Golmud. Récit d'un Chinois devenu étranger à son propre pays, d'un voyage pittoresque et riche de culture, le livre permet aussi de plonger dans la Chine profonde, de découvrir ses populations et ses minorités.


Nouilles chinoises (Editions Flammarion) a été écrit à Londres où Jian Ma a fui en passant par Hong-Kong. En écrivant un roman dans le roman, Jian Ma utilise un subterfuge qui n’entend duper personne. Cet écrivain, c’est lui. Comme lui, il a une haine des gouvernements passés : "Au moins, les chiens dirigeraient mieux le pays que ne l’a fait votre gouvernement." Mais bien plus que les dirigeants, c’est cette fois bien la société chinoise toute entière que l’auteur cible. La Chine qui tente de s’extraire de l’amnésie communiste par un libéralisme déchaîné n’a rien de séduisante. "Dans ce monde aliéné, seuls les demeurés peuvent trouver le bonheur." Pessimiste, Jian Ma dépeint un monde où les personnages ont des tares démesurées et intolérables. Corruption d’un trafiquant de sang, inhumanité d’un des personnages qui précipite sa mère vivante dans un fourneau, suicide d’une actrice dévorée par un tigre, passage à tabac d’une jeune fille prête à subir tous les outrages pour s’accrocher à son bourreau, viol collectif offert en spectacle... Son livre dépeint la réalité d’une société devenue une jungle et certains passages sont très durs.

Nouilles chinoises est ainsi un livre à message, qui retourne l’estomac. Jian Ma n’y attaque ni le communisme, ni le capitalisme. Il attaque l’individualisme naturel et poussé à son paroxysme. Ces personnages, tous humains, drôles et compréhensibles accomplissent des méfaits ignobles.

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10728_1117653072554_1563837552_30259369_1374347_a.jpgLe dernier roman de Jian Ma (Editions Flammarion.) Mai 1989. Des milliers d'étudiants occupent la place Tienanmen. De toute la Chine, des gens se joignent à la protestation et les étudiants prennent soudainement conscience de l'influence qu'ils peuvent exercer. Le héros du roman, Dai Wei, est blessé par un coup de revolver à la tête infligé par un policier en civil lors de l’écrasement par l’armée de la révolte du "Printemps de Pékin" le 4 Juin 1989. Il va vivre dix ans dans un coma qui lui permet seulement d’entendre son entourage. Pour tenter d’en sortir, il se raccroche à ses souvenirs et aux souffrances de ses parents. L’importance donnée au thème du coma vient peut-être de l’accident qui plongea à la même époque le frère de Jian Ma dans le même état. Le deuxième thème concerne la vie quotidienne du blessé. La police le surveille pour l’arrêter s’il reprenait ses esprits, les voisins espionnent sa mère qui a les plus grandes difficultés à survivre et à payer les traitements médicaux, quand les hôpitaux ou la médecine traditionnelle acceptent de soigner une victime de la Place.
Ses anciens camarades aident sa mère à le soigner et progressivement sont gagnés par la volonté de s’enrichir en Chine et surtout à l’étranger. De même son corps devient marchandise : ses urines seraient miraculeuses et sont vendues comme, plus tard, l’un de ses reins ; il devient même objet sexuel car cette partie de son anatomie fonctionne toujours! Sa mère, communiste zélée, n’a pu adhérer au Parti du fait d’un mari "droitier" et d’un fils connu de la police, puis responsable de la sécurité des grévistes de la faim sur la Place Tienanmen. Elle finira par rejoindre la secte Falungong.
Le troisième thème du livre concerne l’enchaînement d’événements qui conduisirent à l’écrasement par l’armée, de la révolte estudiantine et à de nombreux morts. Jian Ma nous raconte ce que voit son héros, ce qui limite l’approche du "Printemps de Pékin" à sa composante étudiante en excluant les actions de soutien de la population pékinoise.
Jian Ma a une approche clinique des événements et de leurs acteurs, il n’escamote pas les aspects déplaisants des luttes de pouvoir entre groupes d'étudiants, la recherche de vedettariat de certains dirigeants. On a l’impression d’un roman à clef où de vieux comptes se règlent, d’autant que les débats entre anciens dirigeants exilés sur les responsabilités de l’échec durent encore. Jian Ma est obsédé par l’oubli dans lequel tombent ces événements en Chine et à l’étranger. Pour lui, Tienanmen marque une rupture fondamentale, la perte de tout idéal par le peuple chinois ; la croissance économique ne suffit pas, il faut revenir sur cette tragédie pour repartir sur des bases saines. Le gouvernement veut écrire l’histoire qui lui convient, le rôle des écrivains est de faire œuvre de mémoire.

Merci Pascal.

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