Histoire oubliée (dimanche, 29 novembre 2009)
"Et vous, combien de fois ?"
C'est ainsi que les femmes s'interrogeaient à Berlin, durant le mois de mai 1945 quand elles se rencontraient.
Combien de fois avez-vous été violée.
C'est ce qu'on découvre dans ce document, "Une femme à Berlin", publié dans la collection Témoins de Gallimard.
L'auteure est anonyme et son livre a connu de nombreuses péripéties.
Anonyme ne veut pas dire inconnue : son identité a toujours été connue des différents éditeurs qui ont tous respecté son anonymat, même pour cette dernière publication de 2006.
Anonyme parce qu'aucune femme n'accepterait de mettre son nom sur ce que l'auteure a vécu et raconte avec la froideur et la distance de la journaliste qu'elle a été.
Anonyme pour se fondre parmi les femmes qui ont subi ces viols pendant les trois semaines où les soldats russes ont occupé Berlin. Des frustes et des soudards. Certes, avant leur arrivée, les femmes s'essayaient à l'autodérision. Dans les caves, pendant les derniers bombardements des Alliés, elles se risquaient à plaisanter : " Mieux vaut un Yvan sur le ventre qu'un amerloque sur la tête".
Puis on dut mettre à l'abri les jeunes filles, dans des soupentes voire sous des meubles. Envoyer les plus vieilles chercher l'eau. Malgré tout, 100 000 femmes violées entre fin avril et mi mai 1945. L'auteure dit elle-même qu'elle n'a survécu à la maladie mentale que grâce à ces trois cahiers d'écolier sur lesquels elle a, selon son expression, tout craché. Du 20 avril au 22 juin 1945 elle a tenu un journal quotidien à la lumière d'une bougie. Pour éviter tous ces soldats qui entraient dans les maisons à coups de bottes, elle s'est résolue à se mettre sous la protection d'un officier russe dont elle a dû partager le lit... ce qui l'a entraînée encore plus bas : affamés, ses proches l'encourageaient à utiliser la séduction pour avoir des vivres. Car curieusement les soldats de Staline avaient des poches pleines de tout ce qui manquait aux vaincus. Parlant russe elle-même elle s'est trouvée dans la situation difficile d'interprète et d'une certaine manière de protectrice.
Mais elle décrit aussi les conditions de faim, d'humiliation, de honte qu'ont supportées les Berlinois, situation d'autant plus douloureuse qu'ils n'avaient aucune nouvelles en l'absence de radio et de journaux : c'était le règne de la rumeur. Et le travail...Ce sont les femmes qui ont débarrassé Berlin de ses décombres.
Anonyme encore parce qu'après la guerre on a condamné au silence toutes ces femmes, c'était indécent. Heureusement elles en ont parlé entre elles au moment des faits.
Les aléas de la publication du livre reflètent parfaitement cette atmosphère de honte concernant les viols des femmes de Berlin. Honte par puritanisme mais aussi honte des hommes qui avaient abandonné les femmes aux vainqueurs. Première publication en 1954 aux Etats-Unis, mais pas en allemand. Cinq ans plus tard l'original en allemand voit le jour ...à Genève. On parla de l'immoralité de l'auteure. C'est seulement après le décès de l'Anonyme en 2001 que le livre put reparaître.
Très belle présentation du document par Hans Magnus Enzensberger qui note :
"Il est à remarquer que dans le cas de l'Allemagne, les meilleurs témoignages personnels qui nous soient parvenus sont des journaux et des Mémoires écrits par des femmes.... Ce sont ces femmes qui surent préserver une certaine santé mentale dans un environnement progressivement livré au chaos. Tandis que les hommes faisaient une guerre meurtrière loin de leurs foyers, les femmes apparaissaient comme les véritables héroïnes de la survie au milieu des ruines de la civilisation."
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Commentaires
Je suis en train de lire ce livre.
La guerre y est racontée d'une autre façon que celle qu'on a eu l'habitude d'entendre, surtout elle est écrite du côté allemand.....
Ces femmes ont été la proie des soldats russes et, parlant Russe l'auteure s'est retrouvée dans une situation singulière.
Écrit par : Organza | lundi, 30 novembre 2009
Comme toujours, je fais des découvertes ici... Malgré (à cause ?) des polémiques qu'a soulevé cet ouvrage, j'ai bien l'intention de me le procurer.
Écrit par : Dominique | lundi, 30 novembre 2009
soulevées...
Écrit par : Dominique | lundi, 30 novembre 2009
Effroyable, j'ai lu ce livre et tu en parles très bien.
Écrit par : Edith | lundi, 30 novembre 2009
Organza tu fais bien de soulever un aspect important : la guerre vue par les Allemands.
Edith, effoyable mais passionnant car si j'ai peut-être trop insisté sur les viols il y a d'autres aspects intéressants dans ce livre : le rôle des femmes, la mentalité allemande...
Dominique les polémiques ont été surtout en Allemagne. En 68 il a suscité beaucoup d'intérêt ce qui l'a tiré de l'oubli...
Écrit par : Rosa | lundi, 30 novembre 2009
Quelle connerie la guerre !
Écrit par : Z'Yves | mardi, 01 décembre 2009
Oui, quelle connerie... Mais celle-là, avec un Hitler au pouvoir en Allemagne et une montée du fascisme dans beaucoup de pays, il fallait la faire.
Écrit par : Dominique | mardi, 01 décembre 2009
Et si l'on avait évité la montée du Fascisme ?
Écrit par : Z'Yves | mardi, 01 décembre 2009
Nous ne sommes que des lâches !...
Écrit par : alsacop | mardi, 01 décembre 2009
Dans le livre de notre Anonyme il y a une phrase que je n'ai pas retrouvée et que je cite de mémoire : nous les Allemands avons besoin d'être guidés et dirigés.
Elle n'évoque pas le nazisme mais parle à de nombreuses reprises des Allemands qui s'en prennent à Hitler et lui en veulent de les avoir mis dans le pétrin. A noter qu'elle écrit sans encore savoir qu'il s'est suicidé dans son bunker.
Éviter la montée du fascisme ?
Comment ?
Quand on voit aujourd'hui le succès des droites populistes...
Écrit par : Rosa | mardi, 01 décembre 2009
@ Rosa
Tu poses les bonnes questions ,bien sûr Hitler a entrainé la majeure partie de la population allemande à adhérer aux manifestations du régime qui avec l'appui de la propagande avait comme ultime but la guerre.Mais tout s'est déclenché avec la récession de 1929 où la société a été désagrégée par le chômage de masse.
Quant à ce que tu évoques avec les droites populistes il faut regarder en Suisse bien sûr avec un vote raciste qui fait honte à la Suisse,tu as raison d'employer le mot fascisme en tout cas je le confirme car pour moi on est dans la diffamation collective d'une communauté et cela touche au fascisme de dire par les urnes que tel type d'humain est par essence dangereux.Alors il y a la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg mais celle -ci est débordée pour longtemps ou alors que la gauche suisse soit courageuse et lance elle aussi un référendum pour disons inverser démocratiquement bien sûr cette islamophobie.
Pierre
Écrit par : Ulm Pierre | mardi, 01 décembre 2009
Difficile de jeter l'opprobre sur les Suisses quand on a eu un Le Pen au second tour des présidentielles.
On avait alors scandalisé les Suisses.
compliqué le vote suisse car il y a plusieurs Suisses : c'est la Suisse alémanique qui a massivement voté contre les minarets mais pas du tout la Suisse francophone.
La gauche suisse est courageuse et plus dynamique que la gauche française !
Écrit par : Rosa | mardi, 01 décembre 2009
En France il y a eu le réflexe républicain en 2002.
La gauche suisse plus dynamique que la gauche française,je ne me prononce pas en tout cas il y a une gauche moderne dynamique puisque travaillant sur les piliers qui fondent la cohesion sociale et l'égalité des chances comme l'emploi,l'éducation et le logement.
Pierre
Écrit par : Ulm Pierre | mardi, 01 décembre 2009
Il y aura peut-être un réflexe du même type en Suisse : j'attends de voir la famille pour en savoir plus.
Pour ma part je n'aime pas les referendum, en Suisse c'est presque un par semaine. Ils sont très fiers de leur démocratie directe mais est-ce vraiment de la démocratie ?
Écrit par : Rosa | mardi, 01 décembre 2009
@ Rosa
Non je ne pense pas ,moi je préconise et je développe sur les blogs féminins politiques du Modem la démocratie participative autant que faire se peut bien sûr.
Pierre
Écrit par : Ulm Pierre | mardi, 01 décembre 2009
Tout dépend à quel niveau et pour quels sujets !
Quand on en arrive comme en Suisse à un résultat de vote qui va contre la constitution du pays, c'est grave !
Écrit par : Rosa | mardi, 01 décembre 2009
D'accord avec toi, Rosa sur la démocratie directe. Elle produit plus souvent le pire que le meilleur. Malgré ses défauts, je préfère - et largement - la démocratie représentative. Quant à la démocratie participative, je crois que, malheureusement, on n'a pas encore vraiment trouvé le moyen de la faire fonctionner dans des conditions dégagées de toute démagogie.
Écrit par : Dominique | mercredi, 02 décembre 2009
Dominique je serais en revanche favorable, pour notre démocratie représentative à laquelle je reste attachée, à plus de proportionnelle dans les élections... C'est sans doute ce qui blesse. Ceci dit Pierre fait peut-être allusion à une démocratie participative à l'intérieur des partis politiques ce qui est autre chose !
Écrit par : Rosa | mercredi, 02 décembre 2009
@ Rosa
la proportionnalité c'est un autre débat,elle n'existe pas là où elle devrait exister c'estr à dire pour les Députés et nous sommes bien les seuls.Aux Seychelles il y a de la proportionnelle comme partout.C'est un sujet majeur et nous voyons bien que les régionales seront les derniéres avec des listes car en 2014 en arrière toute on passera au scrutin majoritaire uninominal et mixte.
De mémoire il faut remeoter à la fin de la 2° République pour voir cela.C'est voulu pour éliminer les petits partis (Modem) mais surtout c'est le retour à la bipolarisation
.
Quant à la démocratie participative je suis un farouche partisan.
Pierre
Écrit par : Ulm Pierre | mercredi, 02 décembre 2009
@ Rosa
Je te relis,pas du tout mais vraiment pas du tout, je ne pense pas à l'intérieur des partis pour la démocratie participative mais sur le plan local.
D'ailleurs le détournement de la démocratie représentative transparait au fur et à mesure des consultations électorales.Morceau choisi :les derniéres élections européennes en France 59 % d'abstention...
L'Etat d'ailleurs semble assister impuissant à la montée de l'individualisme et n'arrive plus à maintenir la cohésion sociale...
Pierre
Écrit par : Ulm Pierre | mercredi, 02 décembre 2009