Un Chablaisien parmi les moines assassinés à Tibéhirine (dimanche, 05 septembre 2010)

Cette semaine doit sortir sur les écrans le film de Xavier Beauvois "Des hommes et des Dieux". Le journal savoyard "Le Messager" retrace l'itinéraire de l'un d'eux.

Frère Paul, moine assassiné à Tibhirine, a vécu 45 ans en vallée d'Abondance


Paul Favre-Miville dans les montagnes du Chablais. Paul Favre-Miville dans les montagnes du Chablais.
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A quelques jours de la sortie d'un film sur les moines de Tibhirine, la famille de Paul Favre-Miville, originaire de Bonnevaux, raconte son parcours.


« Il y a certainement des habitants de la vallée qui doivent avoir chez eux des tuyaux qu'il a installés.
» Françoise Boëgeat et Annick Chessel, nièces de Paul Favre-Miville sourient à l'idée que leur oncle est encore un petit peu présent dans plusieurs maisons chablaisiennes.
Celui-ci est né le 17 avril 1939. Après avoir grandi à Bonnevaux et fréquenté le collège Jean-Jacques-Rousseau, il s'est installé comme plombier dans la vallée d'Abondance.
Durant toutes ces années, le Chablaisien n'a par ailleurs jamais manqué la messe : « Dans la famille il y avait une grande foi et Paul était très croyant et participait notamment à la chorale paroissiale et donnait des coups de main à Lourdes », raconte Françoise Boëgeat. En parallèle, il était conseiller municipal à Bonnevaux et pompier bénévole.
En 1984, trois ans après la mort de son père, il est parti à l'abbaye de Tamié, en Savoie ; il avait 45 ans. Françoise et Annick se souviennent être allées le voir une ou deux fois par an : « Il était épanoui, n'avait pas perdu sa personnalité et restait discret et plein d'humour ! » Celui qu'on appelait désormais Frère Paul est resté en Savoie jusqu'en 1989 : « Cette année-là il a décidé de partir en Algérie. Ce n'était certainement pas un choix anodin car il y avait fait son service militaire qui l'avait marqué », decrypte Françoise Boëgeat. « Il répétait qu'il voulait aller là-bas, car même si la vie à Tamié était rude, pour lui c'était encore trop luxueux à côté de ce que peuvent vivre certaines personnes. » En 1991, entouré de sa famille, Frère Paul a prononcé à Tibhirine des voeux de stabilité, signe qu'il entendait rester à vie en Algérie. « C'est une particularité des gens là-bas, soulignent ses nièces, ils ne veulent pas revenir. Ils ont construit quelque chose avec les gens, ils ne veulent pas les laisser. Leur vie est là-bas, avec leurs amis. Frère Paul et les autres voulaient être "des croyants parmi les croyants". »
Les familles inquiètes
Ce sentiment a d'ailleurs habité les moines de Tibhirine jusqu'au bout : « Durant la période des assassinats ils pouvaient partir, ils ont choisi de rester. » Les frères trappistes n'ont été réellement inquiétés qu'à Noël 1993 lorsque des terroristes ont débarqué dans le monastère. Cet événement, s'il les poussa à réfléchir à leur situation, ne changea pas leur choix de rester.
« Dans leur village les gens continuaient à vivre malgré les enlèvements, eux voulaient aussi rester, expliquent les nièces du religieux chablaisien. Frère Luc, par exemple, continuait à soigner plus de cent patients par jour à 80 ans, sans demander qui ils étaient.
Les frères avaient fait le choix de rester dans la neutralité par rapport aux événements politiques.
» De l'autre côté de la Méditerranée, les familles françaises s'inquiétaient au rythme des événements relatés dans les médias. « Des discussions sur leur choix de rester là-bas sont apparues, se souvient Annick Chessel. Mais ce dont je me rappelle c'est que Paul ne voulait pas nous affoler quant à leur situation ; il voulait nous préserver. »
A Thonon la veille
de son enlèvement

En mars 1996, Frère Paul est revenu passer quelques jours à Thonon-les-Bains. Ayant en charge le potager de la communauté, il en avait profité pour faire le plein de matériel de jardinage.
« A son retour en Algérie, il n'a pas voulu dormir à Alger comme il en avait l'habitude, il a préféré rentrer directement à Tibhirine, à 80 km... Il a été enlevé avec ses frères quelques heures après », décrivent Françoise et Annick. C'était dans la nuit du 26 au 27 mars.
« Nous avons été mis au courant de leur enlèvement très rapidement, se souviennent les nièces du moine. Il y a ensuite eu une période d'attente interminable où nous avons beaucoup espéré, en s'appuyant sur ce que des personnes nous disaient : "Il ne va rien leur arriver, ce sont des religieux.". » Puis, après deux mois d'attente, la famille de Paul Favre-Miville a appris que ce dernier avait été assassiné avec les six autres moines le 21 mai. « Nous savions que l'affaire était compliquée et nous n'avons jamais été dupes : nous ne saurons pas tout », lâchent les nièces qui attendent tout de même que le voile se lève sur la mort de leur oncle.

EMMANUEL ROUXEL

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