Retour à Tibhirine (dimanche, 30 janvier 2011)

  Depuis quelques mois, parmi les lectures qui m'ont marquée, il y a toutes celles que j'ai faites sur les moines de Thibirine. J'ai lu plusieurs ouvrages mais je ne retiendrai que le plus complet qui me paraît un livre de référence.

C'est celui d'un journaliste américain, John Kiser, et le livre s'appelle "Passion pour l'Algérie,  Les moines de Tibhirine".

Remarquable par ses références historiques sur l'Algérie, son empathie avec le pays et les moines, son attention au contexte spirituel très particulier.

L'auteur, un journaliste d'investigation, a écrit avec respect sous l'égide de Robert de Chergé, frère du prieur Christian de Chergé, qui protège les familles des moines.

On peut commencer par un événement fondateur : l'histoire d'amitié extraordinaire entre Christian de Chergé et  Mohamed. L'amour de Christian pour l'Algérie remonte à son enfance. Il y avait vécu avec sa famille, son père étant militaire, en 1942 : il a cinq ans et gardera un souvenir ébloui d'Alger. Après ses études, il est envoyé comme lieutenant, cette fois pendant la guerre et se lie d'amitié avec Mohamed, le garde champêtre de Tiaret. À la base de leur amitié, de longues discussions sur Dieu où il se trouve en très profonde communion avec le musulman. Un jour, ils cheminent en discutant, et arrivent des soldats rebelles.

"Mohamed s'interposa entre Christian et les fusils pointés vers sa poitrine. Il protesta, soulignant que ce soldat était un homme de Dieu et un ami des musulmans. Les fells se retirèrent sans faire de mal au Français. Le lendemain on retrouva Mohamed égorgé près de sa maison..."

Plus tard devenu prêtre, Christian n'a qu'une idée en tête, devenir moine et  rejoindre la communauté Notre-Dame de l'Atlas à Médéa. Ses parents ne comprennent pas ce choix car pour eux le moine est presque inutile.

John Kiser retrace l'histoire de ce monastère implanté en Algérie avant la colonisation française. Les moines sont bien perçus, et pour les Algériens ne seront pas considérés comme les représentants d'une Institution, l'Église, ni de la colonisation. En tant que musulmans, ils regardent les moines comme des hommes qui prient,  comme eux.

Chritian de Chergé qui a consacré deux ans de sa vie à se former dans un institut d'enseignement de  l'arabe et de l'Islam ira très loin dans sa rencontre du monde musulman. Il pratiquait le Ramadan et entrait dans sa chapelle pieds nus. Mais cette attirance était loin d'être partagée par les autres membres de sa communauté qui eux craignaient de perdre leur identité. Sauf par Christophe Lebreton, beaucoup plus jeune, poète et mystique.

Puis Kiser revient longuement sur l'Histoire de l'Algérie qui l'a conduite aux années de terreur des années 90. 199é : annulation du processus électoral qui aurait donné la victoire au FIS et assassinat du Président Boudiaf... L'Algérie devient un bateau ivre...

Pour les moines, on connaît la suite.

Kiser envisage alors différents hypothèses non seulement à propos de leur assassinat mais aussi de leur enlèvement.

"Selon une analyse largement répandue les moines constituaient une menace. Mais une menace pour qui ? (...)N'étaient-ils pas un danger pour les éléments, à l'intérieur de l'appareil de sécurité algérien, qui pensaient que les moines étaient trop bienveillants envers les terroristes ? (...) Une autre théorie qui avait la faveur de certains journalistes, considérait l'enlèvement comme une réponse au président Zéroual, qui avait prétendu, pendant la campagne électorale de 1995, que le terrorisme n'était plus que résiduel...

"L'hypothèse la plus souvent avancée présentait les moines comme victimes de rivalités entre différents groupes terroristes. En se montrant disposés à soigner, sans  poser de questions, tous ceux qui se présentaient au dispensaire, la communauté était devenue une cible de choix pour n'importe quel émir contôlant le secteur géographique voisin."

Par ailleurs, le comportement des services français, pendant la période de cet enlèvement, est très douteux. Selon plusieurs sources, un envoyé français aurait rencontré les moines par l'intermédiaire de Médecins sans frontières. Cet envoyé aurait rapporté que les moines avaient créé des liens de sympathie avec leurs geôliers. Mais Hervé de Charrette, ministre des Affaires étrangères, a toujours nié l'existence de cet envoyé. Même mystère bien sûr concernant leur mort.

Mais ce que j'ai retenu de plus marquant c'est que le terrorisme musulman est l'instrumentalisation d'une religion très belle qui n'a rien à voir avec ce dont on l'accuse. Rien à voir non plus avec les pratiques purement identitaires que nous connaissons en France. Christian de Chergé a eu accès à la spiritualité profonde de l'Islam et en a été transformé.

D'où son engagement et celui de ses frères moines jusqu'à la mort.

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