Lectures de vacances... Les Bienveillantes (samedi, 10 septembre 2011)

411FRr5a30L._SL500_AA300_.jpgCertes la publication  de  cet  énorme  livre  de Jonathan Litell remonte  à 2006. Il avait été couronné  par  deux  grands prix littéraires :  le  Goncourt  et le Grand Prix de l’Académie  française. Mais j'ai toujours préféré lire les livres à succès plus tard, avec le recul du temps passé.

On peut  le dire d’emblée :  "Les Bienveillantes"  est une œuvre  magistrale ,  sans doute  la première grande  œuvre  du XXIe siècle comme  cela a été beaucoup   écrit.

Une oeuvre qui m'a beaucoup touchée... J'avais emporté le livre au Pérou où les soirées sont longues, sa lecture m'a permis de les occuper.

Le sujet  est connu :  Alexandre Aue, un jeune  Allemand,   très cultivé  et sensible,   s’engage,   par idéal,   chez les SS. Il a fait des études de Droit mais n’aime que la Littérature.   On le suit pendant  toute  la durée  de  la guerre. Sa mission ne changera  guère : rédiger,   dans différents lieux d’opération de l’Allemagne  nationale-socialiste,   des   rapports  ayant pour objectif davantage  d’efficacité. Confronté à l’horreur, il réagira par la maladie ou des séquences  de  folie mais conservera, presque jusqu’à la fin, son idéal  national-socialiste.  À noter que l’écrivain  n’emploie  jamais l’abréviation « nazi », ce qui n’est pas neutre.

En effet, le roman nous oblige à changer de regard  et à sortir de toutes nos idées reçues, aussi fondées soient-elles.

Le ton est donné  dès la première phrase :

« Frères humains,  laissez-moi vous raconter  comment ça c’est passé. » Bien sûr on pense à Villon qui apostrophe ainsi le lecteur au début de la Ballade des pendus.  Tout le contenu du livre est dans cette phrase. Celui qui a participé à l’abominable est notre frère, semblable à nous.

Il insiste à la fin de son prologue :

« Ceux qui tuent sont des hommes comme ceux qui sont tués, c’est cela qui est terrible. Vous ne pouvez jamais dire : Je ne tuerai point, c’est impossible, tout au plus vous pouvez-vous dire : j’espère ne point tuer.Moi aussi je l’espérais, moi aussi je voulais vivre une vie bonne et utile,   être un homme  parmi les hommes,   égal aux autres,   moi aussi je voulais  apporter ma pierre à l’oeuvre  commune. »

Ainsi est-on d'emblée au coeur du roman dont le sujet est le Mal.

Le Mal et son mystère, car il y a un mystère du Mal, que l’humanité ne finira jamais d’essayer de comprendre et d’approfondir.

Car Alexandre Aue est un homme qui recherche le Bien et la Vérité. Il croit très profondément et très sincèrement en l’idéal national-socialiste et pourtant le Mal vient le saisir dans cette  poursuite d’un idéal. Dans  « Les Bienveillantes »  Jonathan Litelle  montre  ainsi que le mystère du Mal n’est pas qu’une question morale auquel on l’a trop souvent  réduit : c’est de l’ordre de la métaphysique  et du spirituel. En effet la morale appartient souvent à une époque  et à un pays. Pour les Allemands des  années 30, on pourrait même dire  pour les Européens de cette époque,  l’antisémitisme n’est pas immoral. Ce qui ne signifie pas qu’on avait moins de sens moral qu’aujourd’hui.  C’est aussi le propos d’Alexandre Jardin dans son dernier livre « Des gens très bien ».

Le héros des « Bienveillantes » est donc ce jeune homme idéaliste  pris dans le tourbillon  nazi  dans lequel il n’a pas su reconnaître le visage du Mal. Pourtant il reçoit des signaux, des malaises, des nausées, des diarrhées mais aussi de violents troubles psychiques.

Jonathan Litell appréhende  la question du mal de l’intérieur et ne lui donne pas de réponse, sinon celle des écrivains de l’Antiquité : les Bienveillantes,  pour  les Grecs,  c’était les Euménides, déesses persécutrices qui punissaient les  auteurs de crimes.

Dans l’organisation du national-socialisme, le Mal repose  sur une bureaucratie  extrêmement  performante, assurée par  des experts  en Sciences humaines : ethnologues, linguistes, médecins sont au service du génocide. On ne s’interroge pas assez sur le pouvoir des experts !

 

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