Son visage et le tien (mardi, 22 décembre 2015)

Pour Doume qui semble en plein doute...

J'ai eu l'occasion de critiquer assez sévèrement le premier roman d'Alexis Jenni "L'art français de la guerre" qui lui avait valu le prix Goncourt. En revanche j'ai été assez impressionnée par son petit livre de spiritualité "Son visage et le tien".

L'écrivain parle de sa découverte de la foi.
Cela  commence dans l’ignorance, le non-dit. Dieu se glisse dans le silence d’un grand-père croyant mais taiseux. Une foi présente et distante, pesante selon l’auteur qui n’a pas reçu d’enseignement religieux hormis ce temps où sa mère lui a lu la Bible comme on lit de belles histoires. Pourtant à travers le vide et l’absence de Dieu, dont ses parents souhaitent même le tenir éloigné, Alexis Jenni va entrevoir la Lumière, percevoir le Souffle, accueillir la vitalité.
Ainsi en est-il de la foi pour Alexis Jenni. Ce n’est pas produit d’un enseignement mais une source, cachée, que l’on peut retrouver grâce à l’expérience de nos sens, à la découverte des sensations de notre corps porteuses de vérité.
« L’acte de croire est une confiance, un état de disponibilité, une sensibilité extrême de tous les sens, celui qui sent l’ensemble des sens, et que l’on pourrait appeler sens de la présence.
La foi dans sa conscience est une sensibilité. »
Croire, c’est retrouver le bon usage de ses sens et de ces sensations dont on nous a appris à nous méfier. Mais il faut éviter les pièges car nos sensations peuvent être polluées par des perceptions conditionnées dont nous attendons l’accès immédiat et facile à la réalité sans que cela nous conduise à Dieu. Mieux vaut par exemple écouter le silence qu’une musique qui remplit du vide. Les sensations nous permettent d’accéder à Dieu quand elles sont en prise avec l’intelligence, la pensée et surtout l’imagination. Voir, c’est voir ce que notre œil ne perçoit pas, voir l’invisible.
« On peut ne pas voir ce qui est, on peut tout autant voir ce qui n’est pas, car c’est la pensée qui voit, pas l’œil ; et le monde dans lequel nous vivons nous paraît toujours plein, toujours exact, toujours évidente, pauvres grands singes forestiers que nous sommes. »
Le goût, l’odorat, ces sens primitifs nous donnent accès au passé, aux souvenirs, à notre intimité profonde, à l’essentiel.
En revanche le goût, ce sens  dont on pourrait penser qu’il nous éloigne de l’intelligence tant il paraît primitif est peut-être celui qui nous introduit le mieux à la connaissance de Dieu.
« Ce dont on a le goût est somme toute assez simple, mais on n’en fait jamais le tour, on ne le saisit jamais, et du coup jamais on ne s’en lasse ; c’est bien la vertu de ce sens là, si fruste et si profond, incapable de subtilité, incapable d’aucune précision, mais qui nous lance dans une énergie obstinée sur une voie qui du coup est la nôtre. On ne sait pas où cela va, mais c’est c’est la nôtre ; voilà le goût : simple, personnel et sans fin. »
C’est en ouvrant nos sens à ce qui est leur fonction primordiale, soit permettre à l’humain d’être traversé par le souffle de la vie, le Souffle de la Résurrection, que nous pouvons créer un espace pour accueillir Dieu. Dieu ne peut entrer dans une maison encombrée, vivre dans un bric-à-brac de sensations perverties par des injonctions sociétales.
« le vrai cauchemar est le plein, un monde totalement rempli au point qu’il n’y reste ni terrain vague ni temps mort, plus d’ennui. Seul le vide laisse place, et permet la vie. »
Alexis Jenni nous engage ainsi à nous méfier de ce qu’il appelle notre sens préféré : voir. Voir, omni présent dans notre société est dominé par l’abus de l’image qui donne l’illusion d’accéder à la réalité, fait de nous des tout-puissants et nous détourne de l’essentiel.
Au contraire « Sentir, toucher, entendre, goûter sont des sens qui sont sans distance. Ce que l’on perçoit, on est dedans, cela vient d’où ça veut, on y est, c’est là ; et quand on y échappe pas, car il n’est pas de paupières aux mains, au nez, à la langue ou aux oreilles. En ces sens-là, que l’on éprouve en silence et les yeux clos, loge l’amour, et c’est là qu’il se déploie. »
Le fin mot de cette histoire, c’est l’amour, c’est à l’amour que nos sens nous destinent, c’est vers l’amour que nos sens nous orientent.

Pour Alexis Jenni tout parcours spirituel passe par l'attention qu'on accorde à ses sens, c'est ce qui fait la très grande originalité de ce livre.

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