D'un Goncourt à l'autre (vendredi, 07 avril 2017)

41+zqBzC8TL._SX302_BO1,204,203,200_.jpgIl est de bon ton, et j'avoue l'avoir fait régulièrement, de critiquer les choix des jurés du prix Goncourt. Pourtant il en est d'excellents.

Le hasard a fait que j'ai lu très récemment et successivement, deux romans récompensés par ces jurés.

Le premier, "Léon Morin, prêtre", a été réédité récemment suite à la sortie du film "La Confession" de Nicolas Boukrief. Le second est le dernier Goncourt, "Chanson douce" de Leïla Slimani.

Un point commun entre ces deux romans : ils parlent de leur époque. Et de manière brillante et percutante.

"Léon Morin, prêtre" est le roman autobiographique de Béatrix Beck. Paru et couronné par le Goncourt en 1952, il raconte l'histoire d'une jeune veuve communiste, Barny qui, dans une petite ville de province, pendant l'occupation allemande. Elle  rencontre un jeune prêtre pour le déstabiliser dans ses convictions. Il l'accueille avec intérêt, séduit par son intelligence et son esprit de répartie, et tous deux se prennent au jeu des échanges intellectuels.

Sauf que la jeune femme tombe amoureuse, le prêtre la repousse et c'est la rupture.

Très beau témoignage sur une époque avec  deux personnages d'exception en des temps d'exception. Les épreuves révèlent. Barny jeune femme courageuse qui aide des juifs, soutient des collègues en difficulté, travaille et s'occupe de sa fille ne peut que susciter l'admiration. Quant à Léon Morin, personnage réel -Jules Albert Paillet 1914-1998-  il nous épate par son positionnement avant-gardiste, sa proximité avec les gens, en particulier les plus modestes, et son rejet de la pratique religieuse ostentatoire des notables.

Les jeunes prêtres d'aujourd'hui pourraient s'en inspirer... La lecture de ce  roman devrait être obligatoire au séminaire.

Deux  scènes plus particulièrement montrent les difficultés que pouvaient rencontrer  les prêtres de cette époque quand ils guidaient des fidèles.

Barny, récemment  convertie,  apprend qu'une jeune femme de sa connaissance, qui "fait la vie avec les Allemands" et leur fournit des renseignements, doit être exécutée par la Résistance. Elle expose au prêtre son cas de conscience car elle croise la jeune femme en question tous les jours... Après un dialogue remarquable au cours duquel Léon Morin amène Barny à réfléchir sur ses motivations, et sans doute également les siennes, il lui conseille de ne pas s'en mêler,  de garder un secret que de toute façon elle n'aurait pas dû connaître. Condamnant ainsi une femme à la mort.

Quelques pages plus loin, c'est un jeune FFI membre d'un  tribunal qui condamne des collaborateurs. Lui aussi vient confier au prêtre sa crainte d'être un assassin. Léon Morin lui répond :

"Si tu cales tu risques d'être remplacé par un autre moins consciencieux. Prends tes précautions, vérifie, fais ton devoir d'état. Il n'y a jamais de devoir au-dessus du devoir d'état.

Le bien commun passe avant ta petite sensibilité et avant ta coquetterie morale. Il y a des gens, la meilleure charité qu'on puisse leur faire, c'est de leur brûler la cervelle."

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L'abbé Paillet, le véritable Léon Morin.

 Ce roman n'a pas pris une ride : troublant, dérangeant. L'écriture est très contemporaine. Classique et fluide, alerte, s'appuyant essentiellement sur les dialogues. D'où la facilité de l'adapter au cinéma.

 

41eU+rusaHL._AC_US160_.jpgTout aussi dérangeant mais passionnant m'a paru le roman de Leïla Slimani, "Chanson douce", dernier prix Goncourt. C'est un thriller qui commence avec l'assassinat, par leur nourrice, de deux enfants, une petite fille de quatre ans et un bébé.

La famille a toujours été, depuis l'Antiquité, un lieu de tragédie. Caïn et Abel, Médée...  Nous sommes donc dans une tragédie actuelle, de la société d'aujourd'hui. Dans nos esprits aseptisés par des images d'une famille harmonieuse, lieu de refuge, cocon protecteur, le réveil du tragique est insupportable.  Pourtant sa forme change mais le mystère du tragique demeure. Pourquoi ?

L'auteure qui s'est inspirée d'un fait divers arrivé aux États-Unis, tente de répondre à cette question, nécessairement  partiellement.

Un jeune couple de "cadres dynamiques" embauche une nourrice, la meilleure possible, pour s'occuper de leurs enfants. Une femme parfaite, propre, attentive à réaliser les désirs de chacun, non seulement ceux des enfants mais aussi ceux des parents trop occupés par leur profession et tellement fatigués. Et puis tout dérive progressivement... On se fait trop ami avec Louise, la nourrice, qu'on emmène en vacances. Trop de proximité alors qu'on n'est pas du même monde. Le monde de Louise c'est celui des nourrices qu'elle retrouve au square où elle est la seule blanche. Le monde de Louise c'est une vie d'échecs et de souffrances accumulées. Plus les parents "bobos" se rapprochent d'elle, plus ils accentuent la distance qui les sépare et plus cette distance devient insupportable. Jusqu'à la tragédie.

Ces deux beaux romans, à plus de cinquante ans d'intervalle,  nous décrivent la société de leurs auteurs,  car un bon écrivain n'est pas hors-sol,  mais bien enraciné dans le contexte de son époque.

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