Le Résistant et les lycéens (mardi, 11 décembre 2007)

J'ai déjà eu l'occasion de présenter Georges, "jeune homme" de 89 ans, ancien Résistant * et ancien déporté.
Lundi, j'ai eu la grande joie d'être invitée par mes collègues, dans mon ancien lycée pour assister à une rencontre avec les élèves.
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Georges a été arrêté en 1943 à Dijon par la police française. Une première fois il a pu s'échapper mais la seconde il a été envoyé au Fort de Romainville comme "otage fusillable". On appelait ainsi les prisonniers susceptibles d'être fusillés par les Allemands en cas d'attentats opérés par la Résistance. Sans savoir pourquoi il s'est ensuite retrouvé à Sarrebruck, dans un camp disciplinaire où il est resté un mois puis a été expédié au camp de concentration de Mauthausen, "en wagon normal" a-t-il précisé. Ce camp, situé près de la plus importante carrière de granit d'Autriche, ouvert en août 1938, a pour particularité d'avoir été construit par les prisonniers eux-mêmes. Les premiers occupants ont été des républicains espagnols : réfugiés en France après la guerre d'Espagne ils ont été livrés aux Allemands par le gouvernement de Vichy. C'est une forteresse à laquelle on accédait par un escalier de 186 marches que les prisonniers empruntaient tous les jours pour aller travailler à la carrière, affaiblis par les coups de matraque et la faim.

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Après cette présentation, Georges a répondu aux questions que les élèves avaient préparées en cours avec leur professeur.

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POURQUOI AVEZ-VOUS DÉCIDÉ D'EN PARLER ?

- Aujourd'hui, quand quelqu'un subit un traumatisme violent, comme lors d'une prise d'otage, il est confié à des psy.
Vous êtes mes psy. Je ne suis pas là pour parler des tortures que j'ai endurées mais pour que les jeunes que vous êtes, et qui représentez l'avenir, ne refassent pas les mêmes erreurs.

AVEZ-VOUS CONNU JEAN MOULIN ?

- Je l'ai connu avant la guerre mais je ne l'ai pas rencontré pendant la Résistance.
Et Georges précise que Jean Moulin, en tant que préfet de Chartres, en 1940, avait refusé de signer une déclaration, que voulaient lui imposer les Allemands affirmant que les soldats sénégalais avaient commis des atrocités.

AVEZ-VOUS ÉTÉ TATOUÉ ?

-Non, ce n'est qu'au camp d'Auschwitz qu'on était tatoué.

POURQUOI ET COMMENT ÊTES-VOUS ENTRÉ DANS LA RÉSISTANCE ?

- De moi-même, j'ai voulu me battre sans savoir où j'allais, à l'insu de ma famille.
C'était difficile de trouver un contact quand on n'avait personne de sa famille dans un réseau.
Alors je me suis souvenu que quelques années plus tôt, alors que je n'avais que 17 ans, mon père étant d'origine espagnole j'avais participé à des distributions de tracts pour les Républicains. J'ai pensé que si je pouvais retrouver ces gens j'aurais des chances de tomber sur quelqu'un qui serait dans la Résistance. C'est ce qui s'est produit. On m'a emmené dans un lieu inconnu, dans la région de Dijon où je vivais et je n'ai jamais su les noms des gens qui étaient avec moi. Je me suis fait un ami qui m'a aidé, car je n'avais pas de vélo -indispensable ! - et nous en avons volé un à un soldat allemand. J'en ai bavé avec ce vélo allemand car il avait un pédalier fixe. De la même façon j'ai volé un revolver.

COMMENT FAISAIT-ON LES FAUX-PAPIERS ?

- Avec des pommes de terre. On coupait une pomme de terre en deux, on l'appuyait sur le vrai tampon et on le reproduisait sur le faux-papier.

AVEZ-VOUS PARTICIPÉ À DES SABOTAGES ?

-Oui, essentiellement des déraillements de train. C'était le plus facile. On déboulonnait les voies, ça prenait dix minutes. Un jour on a fait dérailler un train d'oranges, fruit très précieux et rare à l'époque. On les a distribuées aux gens, tout le monde était ravi.

RACONTEZ-NOUS VOS SOUVENIRS DE CAMP.

Je suis arrivé à Mauthausen en août 1943. Après une douche et un rasage on nous a remis notre costume. (Georges a apporté le costume, malheureusement ma photo prise à la verticale, ne ressort qu'à l'horizontale sur le logiciel du blogue)
On m'a collé un numéro accroché à un triangle rouge.
Ensuite je dois dire qu'il m'a été utile d'avoir appris l'allemand au lycée car les gardiens criaient notre numéro et ceux qui ne comprenaient pas étaient matraqués. Je répondais "ja" et aidaient mes camarades français à faire de même.
Ensuite on travaillait comme terrassier, en plein air toute la journée. Le matin on avait un bol d'une boisson noire baptisée café. A midi une soupe : de l'eau dans laquelle flottaient des feuilles ... Le soir un café, 150 grammes de pain et deux rondelles de saucisson ou de la margarine. A mon retour, je pesais 38 kg pour 1m75.
Je me suis un jour guéri moi-même de la dissenterie. Après m'être vidé pendant plusieurs jours je me suis souvenu avoir étudié au lycée les vertus du charbon. Avec des bouts de bois ramassés dans le camp et brûlés dans le poêle, j'ai fait du charbon de bois que j'ai avalé. Cela m'a sauvé.
Pour ce souvenir, comme pour l'allemand étudié au lycée, Georges insiste auprès des lycéens pour leur faire prendre conscience que rien n'est inutile dans les études.

En conclusion, Georges parle de sa libération et de son retour, en mai 1945. Les Américains leur ont dit : "vous êtes libres" mais les prisonniers survivants ont eu peur d'un repli des Allemands sur leur forteresse. Alors ils ont demandé des armes et ont gardé le camp pendant deux jours.
Rentré chez lui, Georges a décrété solennellement à sa famille qu'il ne voulait plus entendre des mots comme "boches" ou "youpins" car ce sont les mots qui tuent.
Il a aussi expliqué aux lycéens que Barbie n'avait pu être Barbie que parce que des Français l'avaient aidé : sans eux, ne connaissant pas Lyon, il n'aurait rien pu faire.
Il a laissé un dernier souvenir. Une de ses amies avait été accusée à tort de l'avoir dénoncé. Il est arrivé à temps pour la sauver de la mort.


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J'espère pour ma part que les lycéens ont eu conscience de vivre un moment privlégié.
Un passage de témoin, entre eux et le Résistant et qu'ils sauront en être dignes.

*Pierre ulm, tu as noté que j'ai toujours écrit Résistant avec une majuscule !

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