Élèves de mécanique (vendredi, 30 janvier 2009)

La découverte récente de Georges Navel, écrivain autodidacte, ouvrier d'origine, m'a donné le regret de ne pas l'avoir connu au temps où j'enseignais dans un lycée industriel de Lyon. Le regard de l'ouvrier devenu écrivain aurait peut-être aidé certains de mes élèves paralysés devant la feuille blanche par le complexe,

absurde et innoculé par la société

d'être un manuel.

Et pourtant,

à l'époque glorieuse où l'Éducation nationale nous laissait  le temps de le faire,

nous avons en classe,  écritensemble  un roman, paru chez un vrai éditeur, publié aux Éditions du Rhône, autofinancé par une souscription à laquelle avaient répondu les parents et les collègues.

Roman policier, "Saint-Éloi priez pour eux", dans lequel les adolescents avaient  éprouvé la satisfaction  d'exécuter un certain nombre de leurs professeurs. Curieusement d'ailleurs, leurs enseignants préférés. Parmi mes auteurs, des élèves en mécanique, les plus allergiques aux cours de français. Pourtant la description qu'ils font de leur atelier vaut bien du Navel.

Il s'agit d'un texte patchwork, constitué par le travail de plusieurs rédacteurs que j'avais dû minutieusement reconstituer pour arriver à un ensemble cohérent. Mais tous les mots sont ceux des élèves.

"Il se mit à contempler longuement devant lui l'atelier qu'il dominait. Le vieil atelier était immense, éclairé par de larges verrières enserrées dans uns charpente métallique. À gauche, sur un mur d'un jaune passé, des dessins naîfs illustraient le noble métier de mécanicien.Devant lui des machines sagement alignées comme de braves soldats avant la bataille, attendaient les élèves. On voyait les gros tours devant : c'était les machines réservées aux élèves de terminale. La plupart étaient âgées, elles avaient formé des générations de mécaniciens.(...)

Il apprécia le sol impeccable, sans la moindre trace de limaille ni de copeaux grâce à l'application des élèves qui avaient balayé hier soir, comme tous les soirs.(...)

Les élèves étaient maintenant tous au travail et le bleu de leurs combinaisons se mêlait au vert froid des machines. Il entendit alors le bruit de l'atelier. Le bruit séleva, des sons nouveaux se relayant par intermittence. Oo aurait dit un orchestre symphonique où les soufflettes jouaient les aigus, les vérins pneumatiques donnaient les notes médium et les basses étaient assurées par les grosses fraiseuses qui faisaient trembler le sol."

Ce travail au cours duquel je m'étais beaucoup amusée, ne serait-ce que pour les intrigues que mes élèves  avaient imaginées entre les gens du lycée, est un des meilleurs souvenirs de ma carrière. Il avait réconcilié ces adolescents réfractaires à la lecture avec l'objet livre. Quand je relis la dernière phrase de ce passage, je revois son auteur. Un garçon passionné par la mécanique et détestant le français : c'est peut-être la seule phrase de sa vie qu'il aura écrite avec bonheur.

Quant à moi, je ne connais toujours pas les machines dont il parle !

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