Née poussière (lundi, 18 août 2008)

15ans.jpgJe ne pouvais laisser passer le coup de projecteur sur la Chine donné par les J.O sans parler de mon amie Danièle Li, "née poussière", c'est son prénom chinois.

Sa vie est un roman qui illustre toute une page de l'Histoire contemporaine de la Chine. D'ailleurs mon association a fait écrire le récit de sa vie par une journaliste, le livre s'appelle "L'Eurasienne".

Danièle est née en 1927 d'une mère lyonnaise et d'un père chinois, originaire du Siam.

Ses parents se sont connus au Palais d'Hiver de Lyon où venait danser la jeunesse lyonnaise. Son père était "Étudiant-travailleur" à l'Institut Franco-Chinois,  maintenant résidence universitaire près de laquelle j'habite.

De 1921 à 1946 l'Institut a accueilli des jeunes chinois qui étudiaient dans différentes disciplines enseignées dans les établissements universitaires lyonnais.

C'est ainsi que les parents de Danièle se sont mariés et ont embarqué pour la Chine en 1926, sa maman étant enceinte. Quelle aventure pour une jeune lyonnaise de vingt ans qui n'avait jamais quitté sa ville ! Monsieur Li était musicien, professeur de piano la famille s'est installée à Beijing puis à Ghuanzhou, près de Shangaï. Très belle région de lacs et de rivières. Région très progressiste aussi, c'est dans cette ville que s'est créé en 1924 l'Institut du Mouvement paysan qui a formé les cadres du Parti communiste chinois. La villecompte également, encore aujourd'hui,  de nombreux Chrétiens.

À sa naissance  Danièle a donc reçu ce prénom français et un prénom chinois "née poussière". En Chine, on invente le prénom des enfants en fonction des qualités qu'on souhaite leur transmettre. La mère de Danièle voulait que sa fille soit modeste... Danièle a  été élevée dans une petite communauté de couples mixtes, le meilleur ami de son père étant un peintre connu en Chine. Elle a suivi sa scolarité chez des religieuses et en a gardé un christianisme fervent et sincère. Son père, quant à lui, lui a transmis les valeurs de Confucius qui l'ont également guidée toute sa vie. Elle a poursuivi à l'Université de Beijing, puis est devenue professeur d'Anglais. Début de l'époque Mao, on ne choisit pas vraiment son métier elle est ainsi  affectée à la faculté de médecine. Nous sommes dans les années 50. Un jour son supérieur hiérarchique la convoque pour lui dire : "Vous êtes à moitié française, vous n'avez pas de carte au parti, et vous êtes chrétienne, non seulement vous n'avez aucune chance de progresser mais en plus je vous conseille de partir." Il avait de l'estime pour elle et l'a protégée.

Danèle était restée fille unique : si elle partait, c'était avec ses parents. Bien longtemps plus tard, quand elle retournera en Chine, ses anciens amis lui diront "Tu as bien fait de partir car avec ton franc-parlé tu serais morte pendant la Révolution culturelle."

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Danièle et ses parents la veille de leur départ de Chine.

Retour à Lyon, terrible. La famille n'a pas eu le droit d'emporter d'argent et se retrouve sans le sou.  La famille française les rejette, sauf la grand-mère qui les héberge dans sa petite maison de Villeurbanne. Danièle trouve du travail facilement comme traductrice dans une entreprise de chimie (elle parle anglais et chinois). Mais elle a une obsession : continuer de servir la Chine, son pays pour lequel elle garde un grand amour. Pour enseigner le chinois il lui faut recommencer ses études à zéro. Grâce à un travail acharné en cours du soir,  elle atteint son but : au début des années 70 elle devient le premier professeur de chinois de l'Université de Lyon.

Elle vivra avec ses parents jusqu'à leur mort et ne s'est jamais mariée. Le seul amour de sa vie, en Chine, l'avait laissée tomber quand il avait su qu'elle était mal vue du régime.

À 80 ans elle défend toujours la Chine avec passion et essaie de la faire connaître. Elle travaille bénévolement au Fond chinois de la bibliothèque municipale de Lyon.

Elle est retournée en Chine, dans cette belle province du Sud.

RetourHangzhou.jpg

Apaisée, sereine avec toujours son langage direct
c'est aujourd'hui une vieille dame dont la vie a été décidée par l'Histoire.

19:54 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : chine, lyon, vive la vie |  Facebook |  Imprimer