samedi, 10 février 2007
Charles Juliet (suite)
J'ai déjà exprimé mes raisons d'aimer Charles Juliet...
Une visiteuse a présenté "Lambeaux".
Pour ma part, je vais revenir sur son journal mais je pense que la clé de son oeuvre, parce que la clé de sa personnalité, est dans "L'année de l'éveil" où il fait le récit de ses quatre années passées aux enfants de troupe, dans l'école militaire d'Aix en Provence...
Charles Juliet dans son journal revient, à plusieurs reprises, sur sa conception du rôle de l'écrivain...
Voilà un passage qui me paraît significatif...
"Il est des écrivains qui révèlent une incontestable singularité, mais cette singularité ne renvoie à rien, elle est pauvre, anecdotique, fermée sue elle-même. Pourquoi cela ? Parce que ces écrivains sont encore ligotés par le moi, parce qu'ils s'assèchent à l'intérieur de ses limites, qu'ils n'écrivent que pour se raconter, s'ébattre en eux-mêmes, qu'ils n'accèdent pas à la pensée-laquelle est prise de distance, possibilité d'élucider les significations du vécu, connaissance de soi et d'autrui.
Le vrai écrivain est celui dont la singularité parle à chacun. En se renonçant, il a dénudé en lui cette part commune à tous, il s'est révélé semblable à des milliers d'autres hommes, il est devenu partie de l'ensemble. Ainsi, il a acquis le droit d'écrire, il est un microcosme."
Traversée de nuit
12 janvier 1965
17:20 Publié dans Souvenirs de prof | Lien permanent | Commentaires (7) | Facebook | Imprimer
Commentaires
Ce qui est vertigineux chez cet écrivain est de savoir qu'il n'a jamais cessé d'écrire des pages de son journal ( sans se forcer dit-il, mais avec une belle constance et une persévérance qui suscite l'admiration). Né le 30 Septembre 1934 , il a aujourd"hui 72 ans, il ne les fait pas ! Il pense même qu'il vise "vieillir en devenant jeune", lui le taciturne est devenu extrêmement facétieux, et pourtant sa gravité dit-on, et sa "voix basse" , "font taire le brouhaha" autour des tribunes de plus en plus variées où il s'exprime. Le passage que vous citez à donc été écrit l'année de ses trente ans. Une époque où il lisait beaucoup et parvenait peu à écrire. Je crois pour ma part que les clés de son oeuvre sont faciles à trouver et que celles que l'on trouve dans LAMBEAUX sont les plus importantes . Pour aller davantage dans les limbes, ce sont les poèmes qu'il faut lire...
Écrit par : Mth P | samedi, 24 février 2007
Correction coquille, merci !
Le passage que vous citez a donc été écrit l'année de ses trente ans.
Écrit par : Mth P | samedi, 24 février 2007
Merci de cette contribution à la découverte de Charles Juliet...
Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne LAMBEAUX mais si j'ai insisté sur L'Année de l'éveil c'est qu'il me semble que ce roman a été le déclencheur, le libérateur...
D'ailleurs lui-même présente ainsi ce roman : je cite de mémoire donc approximativement "J'ai libéré l'enfant bâillonné en moi"
Nous portons tous plus ou moins en nous un enfant bâillonné...
Écrit par : Rosa | samedi, 24 février 2007
"L'année de l'éveil" n'est pas le premier livre de Charles Juliet et il n'est pas le seul point de bascule pour le très lent processus d'éveil de l'écriture de ce "petit paysan " devenu "enfant de troupe" et grand adolescent dévoreur de livres jusqu'à l'abandon de ses études de médecine. Ensuite ce furent plusieurs dizaines d'années à essayer de parvenir à écrire avec des périodes de grands désespoir, mais une conviction secrète que la poursuite de son sillon et la passion pour l'art pouvaient déboucher sur une issue plus favorable. Longtemps réfractaire à l'anecdotique et à la fiction, il s'est frayé une trajectoire qui n'est pas sans rappeler celle de certains mystiques, allant jusqu'à une dépossession de leurs oripeaux mentaux et matériels, ce qu'il appelle lui le conditionnement de l'histoire personnelle et de l'environnement social. Parti à la recherche du "soi" ( il l'appelle "la seconde naissance"), il a voulu se débarrasser des prétentions vaines du "moi" ( tout ce qui en nous est étriqué, falsifié par nos errements égocentrés...). Il a eu l'exigence de travailler sa langue avec une discipline quotidienne remarquable.
Le succès de l'Année de l'éveil ( et son adaptation au cinéma) l'a laissé perplexe et dubitatif... Il n'avait pas encore fait son véritable "retour amont".
Le véritable pivot, c'est bien LAMBEAUX. "Il y a eu un avant et un après", l'ai-je entendu dire dans une discussion publique récente.
Oui, parvenir à laisser émerger la parole de l'infans ( l'enfant sans mots que nous connaissons tous) a libéré bien des entraves chez cet homme talentueux et d'une douceur abyssale. Je vous suggère d'aller à sa rencontre vous ne le regretterez probablement pas.
Son dernier livre de poèmes chez P.O.L. "L'Opulence de la Nuit" , représente aussi une bonne évocation de ce parcours( bien sûr il n'y a pas tout...). Il faut savoir que paradoxalement, Charles Juliet vit davantage dans le présent que dans le passé, ce qui n'est pas pour ne pas surprendre...
Il est un grand amoureux de "l'inattendu"...
Écrit par : Mth P | samedi, 24 février 2007
Je n'ai pas encore abordé sa poésie puique je lis son journal et précisément celui de ces années de souffrance à la recherche de soi dont vous parlez...
Si je "défends" l"L'Année de l'Eveil", quoiqu'en dise l'auteur lui-même (on peut d'ailleurs se poser la question : un livre appartient-il encore à son auteur après sa parution) c'est parce qu'en tant qu'enseignante j'ai été très touchée par l'écho que ce livre rencontrait chez les adolescents et en particulier des garçons détestant la lecture... Il y a quelque chose de très précieux et de très miraculeux dans ce petit livre...
Écrit par : Rosa | dimanche, 25 février 2007
J'avais déposé un message très tôt ce matin, mais il n'a pas été enregistré. Fausse manipulation. D'accord sur l'idée que le livre à son destin propre dans chaque regard de lecteur, mais cela n'empêche pas de s'intéresser à la genèse et aux contexte d'émergence d'un texte. Je crois tout simplement que cela permet ( du moins pour moi) de mieux le savourer encore. Charles Juliet fait partie des créateurs qui travaillent inlassablement le même sillon. Et il y a une thématique centrale dans son oeuvre qui va de la réalité d'un abandon maternel involontaire et déchirant à la transcendance de la "faille" dans la quête intérieure et le déploiement pudique d'une capacité d'amour illimitée. D'une situation oedipienne caricaturale , l'amour pour la femme du chef dans l'année de l'éveil, à l'hommage aux deux mères : "la jetée dans la fosse" (mère de naissance) et "la toute donnée" (la maman Ruffieux, mère adoptive), l'écriture a effectué le périple de la maturation personnelle de tout être vivant parvenu à sa conscience d'exister, douloureux, séparé, mais libre d'aimer à son tour. C'est cela que les adolescents peuvent comprendre en profondeur. La présence de Charles Juliet en des lieux d'enseignement est toujours quelque chose d'inoubliable pour la plupart, à condition que le professeur ait bien préparé la rencontre, car la gravité coutumière de l'écrivain peut en rebuter plus d'un. Mais quand le courant passe, "la voix basse" éclaire le paysage et l'esprit. Il y a un phénomène de partage très simple et très bienfaisant. La langue écrite de Charles Juliet est volontairement épurée, sans fioriture, "la pensée juste, le mot juste", directement compréhensible, elle a un rythme, elle est accordée à la respiration humaine et au calibre immédiat de la mémoire, proposition ternaire, il écrit souvent en marchant. Et dans sa poésie le phénomène est encore plus évident. Il écrit "laborieusement", même maintenant, il recopie inlassablement certaines pages, il rature aussi et ne peut parfois pas se relire ,il utilise cependant une règle avec laquelle il fabrique ses sillons discrets. L'entendre parler de cela peut prêter à sourire, mais lui-même le fait volontiers. Et pourtant il s'y astreint tous les jours , lorsqu'il revient à sa table, selon un rituel immuable. Faire part de cette patience de l'exercice et de l'endurance dans le monde d'aujourd'hui est une belle offrande aux jeunes en devenir. Le goût de l'effort et d'une certaine liberté subtilement mélangés... Une belle leçon de sagesse et de sérénité conquises. Charles Juliet "apaise le brouhaha", ai-je lu quelque part...
J'ai mis une nouvelle note sur La Cause des Causeuses pour évoquer LAMBEAUX, rejoignez-nous quand vous voulez. Je vous attends.
http://la_cause_des_causeuses.typepad.com/la_cause_des_causeuses_/
Écrit par : Mth P | dimanche, 25 février 2007
Merci encore pour tout ce que vous dites de Charles Juliet et j'espère que cela incitera à le lire.
Je pense en effet que son écriture impressionnait beaucoup les jeunes, la sobriété et la pureté d'une phrase qui pénétre profondément les coeurs.
En revanche je n'ai jamais osé la rencontre physique avec cet auteur...
A bientôt sur votre site...
Écrit par : Rosa | dimanche, 25 février 2007
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