mercredi, 02 novembre 2011
Littérature et colonisation
C'est donc Alexis Jenni qui a obtenu le Goncourt pour "L'Art français de la guerre": mon opinion négative n'a pas changé pour autant...
Ashab doit être content ...
Ce n'est pas mauvaise foi de ma part : d'ordinaire je n'évoque jamais les livres qui m'ont déplu.
Je vais essayer d'expliquer mon aversion, sans scrupules, puisque le monsieur aura plein d'éloges, d'acheteurs qui ne seront pas forcément des lecteurs, mais le bruit des sous n'a jamais empêché de dormir, surtout l'auteur d'un premier roman (publié).
L'histoire : un bobo lyonnais quadra, qui s'ennuie et traîne ses états d'âme, rencontre un vieil aquarelliste qui a fait les trois dernières guerres; la grande et les deux coloniales. Donc le récit alterne entre les problèmes de couple de notre malheureux quadra, épanchements qui dégoulinent à n'en plus finir- en tant que narrateur il justifie d'ailleurs sans complexes son épandage sentimental- et les aventures du guerrier Salagnon devenu un peintre du dimanche.
Cela pourrait être original et où est le problème ?
Pour moi il y a maldonne dans la distribution du vécu des personnages.
D'un côté le narrateur bobo qui étale ses tripes -et même au sens propre, au cours d'un repas délirant où il sert des abats crus pour choquer la province- et de l'autre un soldat qui vit trois guerres, racontées à travers des actions, dans le genre archi- vu et revu, lu et relu mais dont on ignore toutes les réactions face aux violences, aux tortures, à la mort qu'il a dû donner ou voir opérer...
Et qui finit sa vie tranquillement en peignant des aquarelles : vous y croyez vous ?
Ce qui m'aurait intéressée, c'est de lire ce qui était dans la tête et dans le coeur de Salagnon le soldat...
D'autant que pour cette rentrée littéraire est justement paru un superbe roman sur la colonisation française en Algérie.
Je ne l'ai pas tout à fait terminé mais je le trouve magnifique.
"Les Vieux fous" de Mathieu Belezi.
J'avais déjà beaucoup aimé son ouvrage précédent "C'était notre terre", saga d'une famille de colons, racontée par des récits croisés entre les différents membres de la famille.
Dans "Les Vieux fous", il raconte un colon, qui est "le" colon. Belezi flirte avec l'irrationnel puisque son personnage barricadé au moment de l'indépendance dans son immense domaine, des milliers d'hectares, avec une poignée de légionnaires, a 145 ans...l'âge de l'Algérie française. Le personnage est un mythe. Il fait défiler tout son passé colonial... La conquête par la force, les viols nombreux évoquent le viol de la terre, puis les visites des hommes politiques français de la quatrième république, qui viennent profiter, participer à ses festins et à ses gabegies, puisque c'était "notre terre".
L'écriture de Belezi est tout simplement somptueuse : lyrique, poétique, fulgurante avec des intonations rabelaisiennes surtout dans la première partie, que je trouve particulièrement savoureuses.
Mais surtout, comme dans "Les Bienveillantes", on saisit l'intérieur, on découvre les racines... Du génocide ou de la colonisation pour Bélezy et les racines sont multiformes, s'enchevêtrent dans l'Histoire.
Donc il faut lire Bélezi plutôt que Jenni...
La colonisation étant à la mode en littérature, et pourquoi pas, concernant l'Indochine rien ne vaut Jean Hougron que j'ai déjà cité et dont je viens de terminer les cinq volumes de sa "Nuit indochinoise", primée par 'Académie française dans les années soixante.
19:56 Publié dans Coups de coeur, Passages vers... | Lien permanent | Commentaires (14) | Facebook | Imprimer
Commentaires
Comme je l'évoquais dans un billet précédent je vais lire le livre pour avoir une idée pour en faire une analyse.
C'est son premier roman ,alors, peut-être est-il trop démonstratif ??
Pierre
Écrit par : Ulm Pierre | mercredi, 02 novembre 2011
Mais le repas délirant est complètement fictif. A mon avis, dans sa construction abstraite, la description de cette nourriture fait le pendant de la viande emballée, méconnaissable, qui est décrite auparavant dans l'intermarché, et tout ça sert à dire à quel point les arabes et les chinois,avec leur viande "reconnaissable" sont meilleurs que les Français pourris...
Le problème de ce roman, c'est qu'à l'image de la nourriture emballée et vendue dans l'intermarché, c'est un produit désincarné...
Écrit par : solko | jeudi, 03 novembre 2011
Solko, tout à fait d'accord avec toi et j'avais compris... Mais en fait je n'accroche pas avec ce type de roman raisonneur et démonstratif : à mon avis un vrai bon roman n'a pas besoin de ça... Comme ceux que j'ai cités...On peut interpréter aussi de façon délirante : la viande emballée au supermarché, résidu des cadavres des 3 guerres !
Écrit par : Rosa | jeudi, 03 novembre 2011
Pierre, ce roman peut te plaire... Il est en effet très démonstratif, explicatif : bref, le discours l'emporte sur le récit. Je trouve que c'est verbeux. Mais peut-être que ça convient davantage aux hommes...
Écrit par : Rosa | jeudi, 03 novembre 2011
Pas encore lu le livre. Mais depuis le temps que je vous suis, Rosa, je crains d'être déçue!
A plus tard, quelques voyages et semaines plus tard!
Écrit par : Natacha S. | jeudi, 03 novembre 2011
On est finalement d'accord tous deux : "la démonstration l'emporte sur la dramatisation", c'était ma formule, c'est ce que tu dis aussi.
"Je ne pense pas qu'on puisse sortir indemne de ces 3 guerres or Salagnon se consacre à l'aquarelle : qui peut le croire ?" C'est par là que tu touches à la faiblesse la plus grande de ce montage idéologique. Il n'empêche que l'enfance de Salagnon, seul passage narrativisé entièrement, est bluffant
Cela dit, Gallimard se rachète une vertu de "découvreur" à peu de frais...
Écrit par : solko | jeudi, 03 novembre 2011
Son premier roman ? Un précoce attardé.
Écrit par : jeandler | jeudi, 03 novembre 2011
Je note " les vieux fous" pour Jeni, j'avais retenu..que tu n'aimais pas !
Bises Rosa, moi ,je commence Freedom, de Jonathan Franzen
Écrit par : noelle | vendredi, 04 novembre 2011
Pas trop envie de lire ce livre : Rosa, qui m'a fait découvrir -entre autres- Navel et Yu Hua me conforte dans mon impression. Mais je retiens le nouveau Belezi dont j'avais aimé "C'était notre terre"...
Écrit par : Edith | vendredi, 04 novembre 2011
Natacha, merci de votre confiance mais je peux aussi me tromper
Solko, en effet l'enfance de Salagnon est le seul très bon passage du livre : il m'avait même emplie d'espoir ! Il a su adopter parfaitement le point de vue de l'enfant confronté aux incohérences des adultes pendant l'occupation. Dommage donc qu'il n'en ait pas fait autant pour Salagnon en Indochine ( en Algérie je n'ai pas lu).
Quant à Gallimard, comme tu l'avais dit sur ton blogue, on peut douter qu'il s'intéresse encore à la littérature... Découvreur... Comme l'auteur de "L'élégance du hérisson" que je n'avais pas aimmé non plus : je me demande si Gallimard sait faire autre chose que surfer sur l'ir du temps...
Écrit par : Rosa | samedi, 05 novembre 2011
Pierre, pour moi les révélations tardives peuvent être très belles...
Noelle, je ne connais pas Frazen, j'irai voir chez toi...
Edith, Belezi peut aussi ne pas plaire à tout le monde : celui-ci est peut-être un peu plus difficile par l'écriture déconcertante.
Écrit par : Rosa | samedi, 05 novembre 2011
Désolée pour "l'air du temps" : impossible de corriger ma faute de frappe.
Écrit par : Rosa | samedi, 05 novembre 2011
Chère Rosa, j'aime assez tes coups de gueule, je ne l'ai pas lu et en général je ne précipite pas sur les "Goncourt", mais je trouvais ce prof plutôt sympa, et le titre m'alléchait, mais...enfin, je verrai (j'ai plein de livres en retard et depuis mon retour des "Charmettes" je me suis replongée dans Rousseau (un homme...plein de talent!) J'ai répondu à ton commentaire sur mon blog. Plein de bisous
Écrit par : Laurencel | lundi, 07 novembre 2011
Comme tu dis Laurence : un prof très sympa, c'est tout à fait ça ! C'est ce que révèle dans Le Progrès les témoignages de son papa, sa maman, ses anciens profs et amis d'enfance...
Écrit par : Rosa | lundi, 07 novembre 2011
Les commentaires sont fermés.