dimanche, 02 novembre 2008
Amor omnia vincit
Amor omnia vincit : lettres tracées sur une chemise contenant des carnets.
Ceux qui autorisent une biographie de fiction, celle de Blanche Wittman, enfermée à la Salpêtrière et devenue l'objet d'expérience préféré de Charcot.
C'est elle qui est représentée sur ce tableau, elle dont on ne sait rien d'autre mais à qui Per Olov Enquist invente une vie dans son roman
"Blanche et Marie".
Marie, c'est Marie Skłodowska Curie, récompensée deux fois par un prix NobeL
Dans cette fiction, Blanche serait devenue l'assistante de Marie. Histoire émouvante d'amitié entre deux femmes dont les destins illustrent la difficulté d'être femme au XIXème siècle.
Le siècle le plus abominable pour les femmes.
Blanche souffre d'hystérie, enfermée à la Salpêtrière avec 6000 femmes, toutes étant censées souffrir de cette maladie.
Charcot est le grand médecin spécialiste assisté de jeunes disciples dont Freud et Jung.
Quand on referme le livre, on se demande si ce ne sont pas ces médecins qui ont rendu ces femmes malades d'ailleurs la maladie n'a-t-elle pas disparu avec eux ?
"L'hystérie disparut purement et simplement. On lui donna d'autres noms."
Blanche est donc enfermée à 16 ans dans cet hôpital appelé Le Château et y restera également 16 ans. Plus tard, Enquist en fait l'assistante et amie intime de Marie Curie. Ce qui lui vaudra d'être amputée progressivement de tous ses membres et de terminer sa vie femme-tronc vivant sur ne caisse en bois à roulettes. Un cadeau du radium.
"Le radium, la mort, l'art et l'amour."
Quant à Marie, l'histoire nous rapporte une période noire de sa vie. Pierre est mort. Elle s'enfouit dans le deuil pendant trois ans. Elle revient à la vie avec une brève histoire d'amour. Paul Langevin, le savant devient son amant. Il est marié.
Éclate alors un scandale abominable. C'est une nouvelle affaire Dreyfus. Et ce sont les mêmes qui s'acharnent contre elles. Slogans, pierres, articles de presse contre "l'étrangère, juive et polonaise". Marie doit fuir. C'est à ce moment qu'lle reçoit le prix Nobel de physique, le second. Le premier, celui de Chimie elle l'avait partagé avec Pierre. À cause du scandale, l'Académie royale de Suède lui déconseille de venir recevoir son prix. Pourtant elle se présente courageusement.
Ce roman d'un écrivain suédois est absolument bouleversant. J'ai rarement lu, et je n'ose dire "jamais", sous la plume d'un homme une telle empathie vis-à-vis des femmes.
Reconstitution minutieuse de la Salpêtrière, un château des horreurs.
"Une forteresse dans Paris, un château. La Salpêtrière l'était réellement, et c'est là qu'on rassemblait les femmes qui avaient été troublées par l'amour. Celles qui avaient des moeurs dissolues, les vieillissantes, et celles qui étaient sur le point d'entrer en amour mais que l'impatience avait fait s'effondrer. Elles avaient ceci en commun : l'amour avait joué un rôle pour toutes, et elles avaient été déçues."
Parmi les patientes célèbres du docteur Charcot, Jane Avril, devenue danseuse au Moulin-Rouge et immortalisée par Toulouse-Lautrec.
Hystérique, folle...ainsi était diagnostiquée une femme trop amoureuse ou qui sortait des clous à la fin du XIXème siècle.
Enfermée à la Salpêtrière.
Quant aux remèdes, on croit halluciner.
Charcot dessinait sur le corps de ses patientes des points dits hystérogènes. Il avait inventé une ceinture de compression ovarienne, censée agir sur ces points et freiner les crises.
Mais il était surtout célèbre pour ses séances d'hypnotisme. Il les pratiquait en public. Pas seulement avec des étudiants en médecine, non ! Il y avait des journalistes, le Tout-Paris se bousculait aux séances du docteur Charcot le vendredi.
Certaines patientes répondaient mieux que d'autres à ces soins et sont devenues des vedettes. Comme Blanche Wittman.
On a même parlé de supercherie.
Un livre vraiment émouvant et instructif.Un regard particulier sur l'hystérie qui pourrait n'avoir été qu'une maladie inventée par les hommes dans un siècle intolérant au désir des femmes.
23:31 Publié dans Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : lyon, littérature | Facebook | Imprimer
Commentaires
Rosa,
Voici un très bon billet qui revient sur Marie Curie, personnage de science et image féminine forte assez incontournable (et au combien toujours d'actualité).
Je me permets de remettre un lien vers "le mythe prométhéen de Curie" :
http://ecologogo.hautetfort.com/archive/2008/04/29/le-mythe-prometheen-de-curie.html
A bientôt,
Fulmar
Écrit par : Fulmar | dimanche, 02 novembre 2008
Merci Fulmar.
Mais dans ce livre on insiste plutôt sur les difficultés que Marie curie a rencontrées parce qu'elle était une femme.
Mais l'Histoire l'a récupérée...comme toujours.
Écrit par : Rosa | lundi, 03 novembre 2008
Fulmar
j'avais lu ton billet très intéressant.
C'est vrai que "Blanche et Marie" n'est pas dans la ligne du débat que tu lances sur les dangers de la Science.
"Il est donc tout à fait possible d'utiliser la parabole prométhéenne de Marie Curie pour supporter deux camps opposés : d'un côté les scientistes y voyant une représentation de l'enseignement de la connaissance dépassant sa propre personne physique, et de l'autre les écologistes ou anti-scientistes retenant l'avertissement infligé sous forme de leucémie à Marie Curie, rappelant à tous les conséquences les plus désastreuses du feu nucléaire ... "
Mais je suis d'accord avec ta conclusion :
"Le mythe curien est donc successeur au mythe prométhéen, car en plus d'illustrer la recherche de connaissance et la transmission du savoir, il rappelle au combien la technologie moderne peut se révéler dangereuse si mal maîtrisée. C'est là le véritable message de Curie à mes yeux. Un manifeste pour une science radieuse et raisonnée."
Rabelais l'avait déjà dit :
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme."
Mais à propos de ce livre je souhaitais surtout sensibliser au sort de ces femmes enfermées à la Salpêtriètre aux mains de certains médecins et aux temps de la psychiatrie balbutiante.
Des femmes cobayes.
Même si l'auteur fait dire à Charcot :
"Tu me connais. Je n'utilise jamais d'animaux pour mes expériences, j'aime les animaux, je n'utiliserais jamais la femme comme un animal."
d'ailleurs Fulmar il me semble que toi aussi tu as eu des propos durs contre la psychiatrie !
Écrit par : Rosa | lundi, 03 novembre 2008
Ca m'a fait frémir de lire tout ceci. Je connaissais certaines méthodes pour calmer l'hystérie ou les maux de tête mais ne connaissait pas cette histoire de la Salpêtrière.
Je vais me renseigner, merci.
Écrit par : Léopold | lundi, 03 novembre 2008
"Un regard particulier sur l'hystérie qui pourrait n'avoir été qu'une maladie inventée par les hommes dans un siècle intolérant au désir des femmes."
tu as tout dit et ces lignes sont déjà bouleversantes
Écrit par : noelle | lundi, 03 novembre 2008
Noelle, c'est un homme qui le suggère...
Léopold, moi aussi j'ai commencé à me renseigner.
Écrit par : Rosa | lundi, 03 novembre 2008
Alors... c'est un homme qui aimait les femmes
Écrit par : noelle | lundi, 03 novembre 2008
A la mort de Charcot, le 8 septembe 1893, Bloy note dans son journal : "J'apprends la mort de l'odieux boudhiste Charcot. Il parait que la nuit de son agonie, les malades de la Salpêtrière sautaient comme des démons!"
Merci de ces infos sur Marie Curie. Je prépare un billet sur le 500 francs Pierre et Marie, je vais me renseigner.
Écrit par : solko | lundi, 03 novembre 2008
Très intéressant. Cela donne envie d'aller lire, merci.
Écrit par : Fauvette | lundi, 03 novembre 2008
Pour l'avoir étudié en cours de psycho, le "fameux Charcot" présentait ses cas clinique effectivement au tout Paris... Seulement voilà, il avait copié la méthode de Breuer ( de la ville de Nancy) ce dernier faisant ses séances d'hypnose en privées (comme tout bon psychiatre ou psychanaliste) L'histoire a plus retenu le nom de Charcot car les journalistes s'en sont mêlés ! Quant à Jung et Freud ils s'en sont inspirés pour "paufiner" leurs théories psychanalitiques des pouvoirs de l'Inconscient ...
Écrit par : ideyvonne | lundi, 03 novembre 2008
Solko, je ne suis pas étonnée que Bloy n'ait pas apprécié Charcot, le scientiste !
Ideyvonne, je suis très intéressée par ce commentaire car j'avais cru comprendre que l'école de la Salpêtrière était opposée à celle de Nancy et de Breuer.
Écrit par : Rosa | lundi, 03 novembre 2008
Noelle si tu parles d'Enquist je dirais qu'il aime les femmes mais pas dans le sens qu'on donne généralement à cette expression.
Écrit par : Rosa | lundi, 03 novembre 2008
Rosa, en effet j'ai vivement critiqué la dérive vers la "pseudo-psychanalyse" ayant des conséquences graves; je l'avais fait dernièrement en m'indignant du réquisitoire lors du jugement bordelais de José Bové. En effet, à l'appui d'une pseudo-étude psychologique bâtie sur une odieuse récupération à tout-va du mythe d'Oedipe, le procureur expliquait que si Bové était "si méchant" c'était à cause de son complexe d'Oedipe. Et de demander la suspension légale de ses droits familiaux...
Nous avons été plusieurs blogueurs "anti-faucheurs" à nous indigner de cette partie du réquisitoire, et à crier haut et fort pour qu'il soit supprimé en fin de jugement. J'ai regretté que les blogs "écolos" ne nous rejoignent pas sur ce point. Car cette insulte à la personne de Bové était inadmissibme ! Nous avons été "entendus" et c'est important à mes yeux que la pseudo-science ne serve jamais à juger des personnes.
Même si son combat de faucheur s'oppose radicalement à mon discours sur les OGM !
Écrit par : Fulmar | lundi, 03 novembre 2008
La maladie mentale est un drame, et la psychiatrie ne peut que depuis peu aider certains malades.
Cf. le livre de Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_folie_à_l'âge_classique
La psychiatrie continue à poser de nombreux problèmes aujourd'hui, ne serait-ce que par le nombre insuffisant de lits et de médecins, qui fait que trop de personnes souffrant de troubles se retrouvent à la rue ou encombrent les prisons françaises où elles sont rarement soignées.
Les maladies mentales évoluent en fonction des types de société. Dans nos sociétés occidentales actuelles l'hystérie a pratiquement disparu, mais les troubles dépressifs sont en nette augmentation. Ailleurs ce sont les délires de persécution qui prédominent.
Même si les époques passées ont été particulièrement dures avec le désir des femmes, on ne peut nier que certains types de personnalité posent réellement problème dans leur demande d'amour excessive et leur tentative de vampiriser autrui, je pense notamment aux troubles de la personnalité histrionique et limite ("borderline").
http://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_la_personnalit%C3%A9_histrionique
Anecdote : les vibromasseurs auraient été inventés par un médecin dans le cadre du soin aux femmes hystériques (le massage clitoridien) !
Voilà l'origine des sextoys.
Quant à l'expression "Amor omnia", cela me fait penser au superbe film de Carl Theodor Dreyer : Gertrud.
Écrit par : kl loth | mardi, 04 novembre 2008
Merci kl loth pour toutes ces précisions auxquelles il n'y a rien à ajouter.
L'État de la psychiatrie actuelle laisse encore à désirer mais il est bon quand même de mesurer les progrès effectués.
Ce qui m'a touchée dans ce livre c'est le travail expérimental fait par Charcot sur ses patientes, mais sans doute aurais-je dû évoquer, ce qui n'est que suggéré, qu'en tant que directeur de la Sapêtrière il avait réalisé des progrès appréciables.
Je pense aussi qu'il y a par rapport à la maladie mentale une responsabilité collective.
Écrit par : Rosa | mardi, 04 novembre 2008
"Une leçon clinique à la Salpêtrière"
Certainement un des tableaux les plus connus de Pierre-André Brouillet (1857-1914)
Écrit par : bernard | jeudi, 13 novembre 2008
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