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mercredi, 23 avril 2008

L'indignation de Victor Hugo

 

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Suite à mon billet d'hier, le texte de Victor Hugo.

 

L’empereur Xianfeng est en fuite. Il a abandonné Pékin aux troupes anglo-françaises qui, le 6 octobre 1860, envahissent sa résidence d’été, d’une beauté exceptionnelle, la saccagent, la dévastent. Ce pillage, qui marquera la seconde guerre de l’opium, indigne certains témoins occidentaux. Victor Hugo, lui, ne connaît cette « merveille du monde » qu’à travers le récit des voyageurs, mais, d’emblée, il prend le parti des civilisés, les Chinois, contre les barbares.  [1


article de la rubrique histoire et colonies > colonies
date de publication : octobre
Hauteville House, 25 novembre 1861

Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.

Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :

ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée qui produit l’art européen, et la Chimère qui produit l’art oriental. Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas, comme le Parthénon, une œuvre rare et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.

Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d’été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe.

Cette merveille a disparu.

Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l’orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’œuvre d’art, il y avait un entassement d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.

Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.

Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.

L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été.

J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.

En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.

Telle est, monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.

Victor Hugo

Notes

[1] Cette lettre est publiée dans Nora Wang, Ye Xin, Wang Lou, Victor Hugo et le sac du Palais d’été, Les Indes savantes/You Feng, 2003.

Repris du Monde Diplomatique d’octobre 2004.

 

Mais, en toute objectivité, il faut reconnaître que les Anglais ont été bien pires que nous. Pendant tout le XIXàme siècle, avec la guerre de l'Opium et ses conséquences, ils ont démoli la Chine provoquant la chute de l'Empire. La Chine était alors une société féodale d'où sa faiblesse face aux Européns.


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Commentaires

Magnifique texte, Rosa

Mais la barbarie est toujours là, et toujours menaçante!

"le siècle des droits de l'homme est celui de la destruction de l'homme."

Écrit par : noelle | mercredi, 23 avril 2008

Noelle, c'est vrai que Victor Hugo avait rêvé que le XXème siècle serait celui de la liberté, de la réalisation des progrès humains. Zola était plus proche de la réalité en montrant à travers la "Bête Humaine" que l'homme gardait un fond de bestialité lié à ses origines.
Mais je ne suis pas aussi pessimiste que toi ! Je vois aussi des progrès humains sur notre terre...

Écrit par : Rosa | mercredi, 23 avril 2008

Je ne connaissais pas cette prise de position de Victor Hugo , je comprends son indignation , je la partage aussi .
Je te rejoins Rosa pour dire que je garde espoir en l'humain ....

Écrit par : debla | mercredi, 23 avril 2008

Moi non plus je ne connaissais pas cette prise de position.On va le payer trés cher bien entendu ,et la flamme avec un retour de flamme sur notre commerce extérieur ,et la provocation du Maire de Paris.

Pierre

Écrit par : ulm pierre | mercredi, 23 avril 2008

Je ne veux pas avoir d'avis, mais si je comprends bien, un certain "oecuménisme" devient nécessaire. Nos amis chinois se battent actuellement économiquement et technologiquement pour réserver le meilleur accueil au monde entier, le monde entier leur reproche de ne pas être à la hauteur des droits qu'il attend, ce monde qui "reproche" a tant fait pour "conquérir" cette Chine selon tes écrits et finalement a tout autant ignoré ces droits pendant longtemps. Alors je vais attendre les jeux et me réjouir, du moins je l'espère toujours, du fait que finalement le sport l'emportera.
Tu vas me dire que je schématise, mais il me semble que c'est une "autre façon" de faire face à tout cela.

Une information pourtant m'a fait sourire ce matin: ce sont les allemands, en 1936, un certain Goebbels, qui ont inauguré, ou mis en marche la "ballade" de la flamme...lors des jeux de Berlin, étonnant n'est-ce pas ?
Pour preuve cet extrait d'un journal allemend, il y a quelques jours :
"Das olympische Feuer wird weltweit von Tibet-Sympathisanten verfolgt werden, obwohl die Flamme eigentlich gar kein olympisches Symbol ist. Mit der historischen Wirklichkeit in der Antike hat das Spektakel rein gar nichts zu tun. Der Fackellauf ist keine Idee der alten Griechen, sondern eine deutsche: Er fand zum ersten Mal 1936 statt, vor den Sommerspielen in Berlin. Seitdem ist es üblich geworden, das Entzünden des Feuers und den Fackellauf vor jeden olympischen Spielen zu wiederholen. "Erfinder des Laufes war übrigens Reichspropagandaminister Joseph Goebbels.
Er ließ das Olympische Feuer über 3187 Kilometer von 3331 Läufern in zwölf Tagen und elf Nächten von Griechenland nach Berlin bringen"
traduction rapide : l'idée du parcours de la flamme (...ce spectacle...) n'est pas grecque, ni historique de l'antiquité, mais bien une idée allemande datant des jeux d'été de Berlin en 1936. Goebbels en est à l'origine, et 3331 coureurs ont parcouru 3187 km de la Grèce vers Berlin en 12 jours et 11 nuits...
de quoi symboliser avec cela la lutte pour les droits de l'homme donne à réfléchir aussi ? non ?

Écrit par : Doume | mercredi, 23 avril 2008

@ Doume

La flamme olympique brûle pour la premiére fois aux Jeux de 1928 mais il n'y a pas de relais.C'est donc bien en 1936 que l'on voit apparaitre les premiers relais.

Pierre

Écrit par : ulm pierre | mercredi, 23 avril 2008

Doume je partage tout à fait ton point de vue que je ne trouve pas schématique...
Pour ma part je regarde peu les JO sauf l'équitation !
Quant au parcours de la flamme en 1936 j'avais en effet entendu cette information.
Et n'oublions pas que Hitler avait été élu DÉMOCRATIQUEMENT.
Être en démocratie ne nous protège pas de la barbarie.

Écrit par : Rosa | mercredi, 23 avril 2008

Il faut dire aussi q'aux JO de 36 Hitler a quitté le stade quand Jess Owens a empoché sa médaille d'or ,lui qui aura 4 médailles d'or :100 m,200m,longueur et relais 4 x 100m.

Pierre

Écrit par : ulm pierre | mercredi, 23 avril 2008

L'anglais est retors... :-)

Écrit par : aliscan | mercredi, 23 avril 2008

Merci Rosa de lutter ainsi contre la pensée facile. L'histoire est une discipline que l'on méconnaît trop. Ce n'est plus assez moderne l'histoire, c'est ringard. Pourtant, malgré internet, malgré toutes les nouvelles technologies, l'homme, au fond, reste le même...
ps: je t'ai pris en otage, dans la Prairie..j'espère que ça ne te pose pas de problème...

Écrit par : Bruno | mercredi, 23 avril 2008

Ce texte de Hugo est d'une splendeur...

Écrit par : Choubine | mercredi, 23 avril 2008

Ce n'est que très récemment que j'ai pris connaissance de ces faits et de la prise de position du grand Hugo.
J'ai donc lu avec beaucoup d'intérêt ta Note Rosa et cela confirme ce que je crois avoir déjà écrit sur les belles pages sans concession au politiquement correct de ce Blog. Car au-delà des idées que chacun se fait de par son histoire, sa culture, sa « carte du monde », les idées « arrêtées » ne mènent pas à grand-chose alors que l’ouverture d’esprit nous (me) remplit de satisfaction au quotidien.

Écrit par : Louis-Paul | jeudi, 24 avril 2008

Victor Hugo a vraiment été un visionnaire même s'il avait beaucoup d'illusions sur le XXème siècle.
L'Histoire permet de comprendre des faits actuels, en particulier pour la Chine qui a beaucoup souffert des Européens,
surtout des Anglais, pendant tout le XIXème siècle. La guerre de l'Opium en particulier a été abominable.
Aliscan, retors est un euphémisme !
C'est ainsi que les Chinois sont devenus nationalistes et supportent actuellement leur dictature.
En revanche les Français étaient bien vu grâce à de Gaulle, le premier à avoir reconnu le gouvernement de Mao.

Et pourtant les pires exactions (ou presque !) avaient déjà eu lieu au Tibet ! Et le pire devait se produire ces années-là avec la Révolution culturelle dont la critique n'est plus tabou en Chine.

Écrit par : Rosa | jeudi, 24 avril 2008

Sur Europe 1 ce matin : " il serait temps que les journalistes se renseignent plus sur la Chine " , phrase prononcée par l'invitée de J.P. Elkabbach !

Écrit par : Fulmar | jeudi, 24 avril 2008

Merci pour cette lettre de Victor Hugo. Parfois nous sommes nos propres bandits. Je pense par exemple à la Basilique de Saint-Denis, saccagée sous la révolution et dégradée volontairement aujourd'hui par de laids immeubles modernes qui la touchent presque.

Écrit par : stéphane | jeudi, 24 avril 2008

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