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vendredi, 16 décembre 2011

D'un Goncourt à l'autre...

martinez.gifJe ne reviendrai pas sur le peu d'intérêt que j'ai trouvé à la lecture de  « L’Art français de la guerre » de l’écrivain  lyonnais « Alexis Jenni récompensé par le Goncourt. 

En revanche on est à court d’adjectifs laudatifs pour qualifier le petit roman de Carole Martinez « Du domaine des murmures » couronné par le Goncourt des lycéens : un petit bijou.

A priori le synopsis est sobre et pourtant riche en péripéties : au 12ème siècle, la fille unique d’un riche seigneur refuse le mariage avec l’homme que son père lui a désigné pour devenir reclus.

Il faut le dire d’entrée : ce roman doit autant  à la spiritualité médiévale qu’à la psychologie contemporaine. La jeune femme subit  à l’aube de son entrée en réclusion un acte de violence inouïe qui la conduit à chercher son chemin dans la nuit, nuit de la souffrance intime, nuit de son local de réclusion. La recluse entrait dans une tombe et la cérémonie qui accompagnait son entrée dans le reclusoir suivait la liturgie des défunts.

En aucun cas il ne s’agit, comme on a  pu le lire ou l’entendre, un livre féministe et il est nécessaire de revenir au contexte de ce début de 12ème siècle pour le comprendre.

Quelques données : c’est la période de développement des monastères, de l’apogée de l’art roman, et de la littérature courtoise. Avec le cycle des romans courtois et du Graal, symbole de l’Eucharistie car représentation du vase qui aurait recueilli le sang du Christ, la littérature courtoise s’inscrit dans cette culture marquée par le mysticisme. 

Carole Martinez a saisi cette atmosphère… mais elle révèle d’autres réalités, celle de la société féodale et pyramidale.

Dans cette société, l’individu n’existe pas. Il faudra attendre  les Humanistes du 16ème siècle pour que l’individu accède au statut de la personne. Au Moyen-Âge, il n’existe que par la  lignée dont il n’est qu’un maillon. Le seigneur du Moyen-Âge a droit de vie et mort sur tous les membres de sa famille comme sur ses serfs. Sa femme, comme son enfant, est sa propriété. Dans « Du Domaine des Murmures » le seigneur est veuf et la seule femme du domaine est sa fille unique, Eslarmonde, objet de possession mais aussi d’adoration.

Mais  le seigneur va entrer en conflit avec Dieu dont il sera d’abord le rival, ne supportant pas la désobéissance de sa fille. Esclarmonde le confie ainsi.

« J’avais choisi de mourir au monde à quinze ans… Peu lui importait de sceller une nouvelle alliance avec Dieu. Il lui avait déjà cédé son fils , Benoît de huit ans mon aîné, qui avait préféré la prière aux armes, avait été formé à Saint-Jean, et dirigeait depuis un an le  prieuré de Hautepierre, à une lieue à peine du château. Dieu était insatiable, Il lui avait volé sa femme et cinq des petits qu’elle avait enfantés. Mais ce n’était pas assez et ce Dieu, jamais repu, venait de lui ravir sa fille unique. »

« Céder », « voler » : les mots du propriétaire.

La prière est le lieu de refuge autorisant la seule liberté accessible dans cet univers où la destinée est écrite.

À la fois emmurée et libre, Esclarmonde se retrouve paradoxalement au centre du monde et tout aussi paradoxalement en relation fusionnelle avec le père dont elle a voulu fuir les diktats.

Elle l’accompagne ainsi dans une croisade en Terre sainte dans laquelle il s’embarque pour expier le pire crime qu’un homme puisse commettre. C’est là qu’intervient le merveilleux puisque Esclarmonde sera en mesure de suivre physiquement cette croisade.

Le merveilleux qu’il ne faut pas confondre avec le fantastique. Le merveilleux, c’est un monde parallèle, familier aux gens du Moyen-Âge. Le monde des fées, des animaux qui parlent : un monde naturel et réel. Monde refuge lui aussi. Carole Martinez nous offre d’ailleurs, de cette croisade, une vision assez éloignée de l’image d’Épinal avec défilé de chevaliers montés sur de beaux destriers, bannières au vent. Elle nous montre au contraire des combattants loqueteux, malades et affamés portés par le seul désir du repentir. Pas de combats, la seule victoire est celle qu’on remporte sur soi-même. Et les survivants portent leurs morts pour qu’ils accèdent au Pardon et soient sauvés. Le cortège de Croisés misérables est harcelés par les spectres, ces morts qui les harcèlent impatients d'arriver en terre sainte.

Sans déflorer l’essentiel de l’intrigue, on est obligé d’évoquer un enfant-miracle, l’enfant auquel s’adresse le récit d’Esclarmonde, l’enfant de la Rédemption.

Il faut vraiment lire ce texte superbe, cette écriture limpide, sensuelle et surtout poignante. À offrir pour Noël !

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Chapelle d'une recluse


vendredi, 18 novembre 2011

Les atriaux

Cette semaine encore je vais acheter à l'occasion d'un nouveau séjour en Haute-Savoie cette délicieuse et exceptionnelle charcuterie : l'atriau. Ma mère, fidèle auditrice de l'émission "Des chiffres et des lettres", m'a dit que le mot avait été trouvé dans le jeu. Nous en avons été étonnées toutes les deux, puisque pour nous, cette spécialité qu'on a tant de plaisir à retrouver à l'automne et en hiver, ne dépasse les frontières du Chablais, inconnue même dans le reste de la Haute-Savoie.

En fait la spécialité est suisse, ainsi que le mot. Ce qui confirme que nous, Chablaisiens, sommes bien de culture suisse... Les atriaux sont cités dans l'hymne national suisse.

 Cé qu'è lainô : Et poi saplia queman dés atrio, « Et puis [ils furent] taillés comme des atriaux ».

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Composés  de viande hachée de porc frais, essentiellement du foie, aromatisés  de  persil et d'épices, façonnés en boulettes et enfermés dans une crépine de porc, les atriaux se rôtissent à la poêle et se servent avec un jus au vin blanc.

Et franchement l'atriau c'est beaucoup plus fin et beaucoup moins gras que la très célèbre andouillette lyonnaise...

 

lundi, 17 octobre 2011

Des objets et des mots...

Aujourd'hui j'inaugure une une nouvelle catégorie qui porte le nom de ce billet.

120px-Pub-cahou-4.JPGLes mots on le sait naissent, vivent et souvent meurent... S'ils ne meurent pas ils sombrent dans un coma profond. J'ai lu récemment dans un roman des années 60 l'adjectif "épatant" : qui l'emploie encore aujourd'hui ?

En particulier quand ils désignent des objets dont l'usage se perd.

Récemment j'évoquais devant la famille un souvenir d'enfance : mon père, vétérinaire, recevait d'un laboratoire qu'il faisait travailler, des buvards publicitaires, très efficaces car très absorbants. Un de mes neveux a fait cette remarque " méfie-toi ma tante, si tu associes "buvard" et "labo" tu peux créer une regrettable confusion...

Je suis allée consulter mon ami Wiki pour découvrir que le buvard était le nom que les utilisateurs de LSD  donnaient à des petits carrés d'un papier spécial grâce auquel ils absorbent leur drogue.

Un peu gourdasse la tante de ne pas savoir ça...

175px-Löschwiege.jpgEt oui ! Pour moi le buvard restera éternellement ce rectangle spongieux, doux à la main, qui suivait la pérégrination laborieuse de notre plume formant des mots sur les lignes d'un cahier d'écriture, avec une plume trempée dans l'encre violette, contenue dans un petit pot en porcelaine, encastré dans notre bureau d'écolier. À la fin de la ligne, le buvard nous permettait de sécher l'encre.  La terreur, c'était le "pâté", cette grosse tâche liée à la maladresse ou au mauvais dosage de l'encre. Le buvard ne pouvait nous sauver de cette  catastrophe qui nous valait la honte car le "pâté" était apprécié d'un "mal" écrit d'une main rageuse à côté de l'exercice...

J'ai appris qu'il existait des collectionneurs de ces précieux rectangles qui étaient des supports publicitaires, les Papibeverophiles qui en conserveront la mémoire.

mardi, 13 janvier 2009

Quand les objets du passé tendent la main au présent

à Michel Jeannès

IMGP0876.JPG Coincée dans un embouteillage du vendredi soir, j'ai entendu à la radio des préconisations pour éviter les deux épidémies du moment, la grippe et la gastro-entérite dispensées par l'hygiéniste de service sur France-Info.

Les hygiénistes ont  remplacé les religieux d'antan : comme avec les bonnes soeurs de ma jeunesse, il faut toujours suivre la pente qui monte pour assurer son Salut, ne pas boire, se fatiguer à courir, se priver de tout ce qu'on aime et j'en passe.

Pour éviter les contagions, il faut donc, et c'est entré dans nos moeurs, utiliser un mouchoir à "usage unique." Je ne sais pas pourquoi, ont défilé dans ma tête, les images des paysans de mon enfance. Je les revois, avant de se moucher, en un geste lent et solennel, ils dépliaient leur grand mouchoir à carreaux copieusement maculé, et cherchaient un coin un peu moins sale pour soulager leurs narines en soufflant bruyamment. Avec le même calme, ils le repliaient et le fourraient dans leur poche. L'opération durait un certain temps même si je l'allonge un peu par le souvenir. Avaient-ils plus la grippe qu'aujourd'hui ?

Récemment, je me suis trouvée dans ma chambre avec ma petite-fille qui a éprouvé une envie urgente de se moucher.

J'ai pris un mouchoir sur une pile que je conserve dans un placard. Pile de mouchoirs récupérés, ceux de mon enfance, ceux de mon père qui n'a jamais pu s'habituer au mouchoir en papier-c'était un cadeau traditionnel le mouchoir brodé à nos initiales et on ne peut dire qu'il nous ravissait. Celui-ci, en photo, est d'une arrière grand-tante. Elle l'a brodé elle-même et il a plus de cent ans. L'ourlet, un très fin roulotté dont on ne voit pas les points, est une merveille.

Je tends donc un mouchoir à ma petite-fille, un joli avec une dentelle au bord, et voilà qu'elle m'interroge :

- Qu'est-ce que c'est ça mamie ?

Moi interloquée.

- C'est un mouchoir ma chérie, tu peux te moucher dedans.

Elle s'exécute puis, l'ayant replié, se dirige vers la poubelle de la salle de bains avec l'intention de l'y jeter. Je rectifie le geste à temps pour l'orienter vers la corbeille à linge sale.

Ouf ! "l'usage unique" a été respecté et ma petite-fille a découvert un objet de patrimoine.