dimanche, 17 décembre 2017
Les gardiennes, le livre
Le film de Xavier Beauvois "Les gardiennes" est absolument superbe et m'a donné envie de lire le roman qu'il a adapté, avec beaucoup de finesse et une grande humanité.
Ce roman est passionnant et profondément touchant. Son auteur, Ernest Pérochon, était instituteur, né dans un milieu rural à la fin du XIXème siècle quelque part en Vendée. Il a été vaguemestre pendant la guerre de 14/18 où il a failli mourir d'une crise cardiaque.
Je reconnais y retrouver mon ADN familial à plus d'un titre.
L'histoire est donc celle du film même si Xavier Beauvois a réduit le nombre des personnages se concentrant sur ceux qu'il a jugés les plus intéressants.
En 1915, début de l'histoire, ne famille de paysans nantis souffre comme les autres familles du départ des hommes pour maintenir le travail de la ferme.
Cette famille est dominée par une femme, déjà âgée surtout pour cette époque, Hortense Misanger, appelée la Misangère car à cette époque on féminise les noms de famille et surnommée la grande Hortense.
On peut dire que c'est la gardienne en chef pour les siens et pour tout le village.
Le roman débute par le poids de la responsabilité que les hommes partis se battre font peser sur leurs femmes.
"Il écrivait :
Vous devez travailler pour que les soladts ne manquent de rien ; vous devez travailler jusqu'à l'épuisement de vos forces, jusqu'à en mourir s'il le faut... La souffrance et la mort ne comptent pas plus pour vous que pour les combattants."
Contrairement à ce qui a pu être dit, pas plus le roman que le film ne suggère la moindre notion féministe. C'est l'exigence à l'état brut des hommes qui veulent retrouver en état leur bien.
La Misangère se soumet parfaitement à ces prescriptions qu'elle approuve complètement car elles correspondent à son caractère.
"D'abord, il lui semblait juste de durement peiner parce que les autres souffraient et que le travail est frère de la souffrance ; mais surtout les hommes s'acharnant aux oeuvres de destruction et de mort, la tâche première des femmes, qui est de conservation, lui apparaissait confusément avec son importance essentielle. Jeunes ou vieilles, les femmes étaient les gardiennes ; gardiennes du foyer, gardiennes des maisons, de la terre, des richesses, gardiennes de ce qui avait été amassé effort des âges pour faciliter la vie de la race, mais aussi gardiennes de ce qui pouvait sembler futile et superflu, de tout ce qui faisait l'air du pays léger à respirer, gardiennes de douceur et de fragile beauté."
C'est ainsi qu'Hortense Misandier mène son monde à la baguette, femmes et valets, sans aucune pitié pour la fragilité et la faiblesse. Même son mari plus vieux et impotent subit ses rudoiements. Ainsi a-t-elle le plus profond respect pour les femmes qui travaillent durement et un grand mépris de celles qui se relâchent.
C'est ainsi que la Misandière se trouve confrontée à des travailleurs défaillants : ses valets, des incapables, une fille qui pense davantage à faire la belle qu'à travailler au champ, une belle-fille courageuse mais souvent malade.
Son secours viendra de Francine Riant, une servante vaillante et dure à la tâche qui aurait tout pour lui plaire. Mais pour son entourage une fille de l'assistance est forcément une fille de rien. Francine est l'autre personnage fort de ce roman, une image lumineuse, même dans sa détresse quand les coups portés deviendront plus durs, et ils sont nombreux ces coups, tant la méchanceté et la jalousie vont l'accabler.
Comme dans le film, son amour naissant sera brutalement interrompu par une terrible injustice. Mais la résilience comme on dit aujourd'hui, sa force d'âme sont encore plus fortes que dans le film, Francine s'en sort, tournée vers l'avenir, transcendée par la vie qu'elle porte en elle.
Le roman se termine comme il a commencé, sur le personnage de la Misandière qui n'est plus la grande Hortense mais une vieille femme, détruite par les remords et abandonnée de tous.
Un très beau roman dont l'écriture savoureuse restitue la ruralité ancienne, celle de mes grands-parents. Ernest Pérochon est aussi à l'aise avec l'imparfait du subjonctif qu'avec le langage des paysans de ce temps :"cent soixante boisselées d'une terre sèche mais grenante", les emblavures ou emblaver, muser...
"Ce n'est pas un mince travail que de rentrer du foin au pays du Marais. Il faut le prendre sur le pré, le porter à la conche, dresser la batelée, conduire le chargement à la perche par les fossés étroits, parfois même le haler à bras."
En revanche si on a tendance à idéaliser cette société disparue comme un idéal d'humanité, on déchante. Si en effet, par nécessité, une grande solidarité se manifeste pour l'entraide dans les travaux des champs, jalousie et méchancetés dominent les relations au sein du village.
Pas de nostalgie donc pour une époque révolue.
21:42 Publié dans Ciné-club, D'une génération à l'autre, Passages vers... | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | Imprimer
dimanche, 25 mai 2014
Une belle palme
Cannes 2014 : le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, Palme d'or pour « Winter Sleep »
Je suis pour ma part enchantée, sans avoir vu le film, qui a été apprécié par Dominique Boy-Mottard une habituée du festival, que le jury ait trouvé cette année d'autres critères de récompense que ceux de l'actualité sociale et politique. Je n'en attendais pas moins d'une grande réalisatrice comme Jane Campion. J'ai entendu l'éloge d'un grand film littéraire... Un film long certes, et pas du tout grand public : c'est heureux que ce genre de film soit soutenu.
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mercredi, 23 avril 2014
Aimer, boire et chanter
C'est un film que j'ai failli ne pas aller voir ayant entendu beaucoup d'avis négatifs. Mais j'aime tellement les films d'Alain Resnais qu'il m'a semblé ne pas pouvoir être complètement déçue. Et je ne l'ai pas été.
Le film surprend, ou plutôt prend le spectateur à rebrousse-poil... L'histoire est simple : dans la campagne anglaise, un homme sait qu'il va mourir et bouleverse la vie de trois couples amis.
Et c'est là que nous sommes déconcertés... Le réalisateur cache un maximum -tentures de théâtre en guise de portes, scènes exclusivement à l'extérieur, on est dans toutes les maisons mais dans les jardins- pour révéler l'essentiel à savoir une interrogation sur ce qu'est devenue la vie de ses amis. C'est un film sur le dévoilement progressif. La scène la plus spectaculaire de ce point de vue est celle de la fête donnée à l'occasion de l'anniversaire de la fille d'un des couples : toute la fête se déroule sans qu'on n'en voit rien sinon ceux qui la regardent. Et c'est ce qui peut paraître crispant à certains spectateurs habitués au cinéma qui exhibe. Resnais quant à lui semble s'être bien amusés à nous égarer...
22:29 Publié dans Ciné-club | Lien permanent | Commentaires (8) | Facebook | Imprimer
lundi, 25 février 2013
Quand le cinéma américain revient sur son Histoire
J'ai vu hier soir seulement, juste avant la cérémonie des Oscars, le Django unchained de Tarantino. J'aime beaucoup ce réalisateur et je n'ai pas été déçue.
Du vrai cinéma ! Rythme, action, images sublimes. C'est mon impression générale à la sortie de cette superbe parodie du western dit spaghetti.
Mais ce film est beaucoup plus que ça. Le film historique convient à Tarantino. J'avais beaucoup aimé Inglorious Basterds dont l'action se situait à Paris pendant l'occupation nazie... malgré un dénouement fort peu conforme à l'Histoire.
Avec Django unchained, nous approchons la réalité de l'esclavage. Une réalité crue, brutale, cruelle. L'esclavage, ce n'est pas "Autant en emporte le vent", saga romanesque qui le rendait acceptable avec ces braves noirs faisant partie de la famille... La pire violence de l'esclavage, nous la découvrons avec Tarantino : c'est la lutte qu'il a provoquée entre les noirs eux-mêmes. Les scènes les plus insoutenables s'y rapportent. Un vrai choc, et pour moi une véritable découverte.
Il est particulièrement intéressant de rapprocher ce film du Lincoln de Spielberg, aussi austère que le Django est éblouissant. Austère mais passionnant, un vrai cours d'Histoire. Les deux films dénoncent l'esclavage. Tarantino en montre la cruauté en situant son récit deux ans avant la guerre de Sécession. Le film de Spielberg se rapporte exclusivement au vote de l'amendement de la Constitution américaine pour le supprimer. C'est technique, didactique et très instructif. On est tenu en haleine par les difficultés que Lincoln rencontre jusque dans son propre camp. Ruses, compromissions sont mises en place sans état d'âme par ce chef d'état visionnaire pour obtenir ces fameux deux tiers des voix.
Comme le cinéma américain me plaît avec des films d'une telle envergure...
15:44 Publié dans Ciné-club, Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | Imprimer
jeudi, 24 janvier 2013
Zero dark thirty
On sait qu'il y a une polémique à propos de ce film de Kathryn Bigelow, réalisatrice américaine, sur la traque de Ben Laden pendant dix ans par la CIA.
Cela peut se comprendre aux Etats-Unis mais je pense que c'est un film à voir.
Ce n'est pas un documentaire mais une fiction : Maya, une jeune femme recrutée par la CIA dès la sortie du lycée, fait de la traque de Ben Laden une affaire personnelle.
Et elle réussit.
Il lui faut mettre en oeuvre beaucoup d'opiniâtreté et de persévérance pour réussir là où les autres agents de la CIA semblent avoir renoncé. Ce film a une tonalité très féministe, à l'américaine. On ne sait pas pourquoi Maya s'acharne : à tout moment on s'attend à une révélation du genre "un membre de ma famille a été tué le 11 septembre 2001" Mais rien de tout ça : pendant huit ans elle poursuit ce but bien au-delà de ce qu'on lui a demandé. Pour ses collègues c'est une emmerdeuse.
C'est vrai que c'est une femme qui n'a rien d'autre dans sa vie que cette tâche : pas d'amours, ni de famille, ni d'amis. Quand elle dîne au restaurant avec une collègue, elle lit des messages sur son téléphone... La froideur avec laquelle elle travaille pourrait la faire passer pour inhumaine si, dans les dernières images, on ne voyait une larme couler sur son visage.
Ce personnage m'a beaucoup intéressée et il me semble que la réalisatrice a mis beaucoup d'elle-même.
La polémique est née des scènes de tortures au début du film. Je comprends que les Américains aient du mal à admettre que certains renseignements permettant de retrouver Ben Laden aient été obtenus sous la torture mais le film le présente comme un fait.
Il n'y a ni éloge ni dénonciation de la torture.
Pas de voyeurisme non plus, ni de complaisance malsaine dans la description de ces scènes d'extorsion d'aveux.
Au contraire, la réalisatrice a introduit une dimension artistique à ces images, des contre-jours qui évoquent les clairs-obscurs des peintres, créent une distance permettant de supporter la réalité. Il y a même des vues quasiment christiques superbes.
Un film qui comptera.
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vendredi, 09 novembre 2012
Peut-on parler d'amour ?
Le film de Haneke mérite-t-il son titre ? Palme d'or au festival de Cannes il mérite en sa récompense, mais on ce qui concerne le titre on peut s'interroger. C'est un film impressionnant même si pour ma part j'avais préféré "Le Ruban blanc".
On connaît l'histoire : un couple en fin de vie. Elle -Emmanuelle Riva- ancienne professeure de musique, se retrouve très handicapée suite à un AVC. Il la soigne, chez lui, "avec amour". Toute la question est là : ce dévouement maladroit et incompétent est-il de l'amour ? L'amour ne serait-il pas d'avoir recours à ceux dont c'est le métier ? C'est ce que soulignait dans un débat auquel j'ai participé un cinéphile également médecin. Ce qui m'est apparu dans ce film, et ce qui correspond pour moi à une conviction profonde, c'est que la fin de vie est conforme à l'existence qu'on a menée auparavant. On ne se retrouve pas par hasard enfermé dans l'isolement à plus de 80 ans. Isabelle Huppert joue superbement le rôle de la fille unique, éjectée de la vie de ses parents, soulignant à quel point ils forment un couple égoïste et fusionnel, replié sur lui-même, tenant avec mépris à distance le monde extérieur... En cela ce film est une leçon à méditer.
Toute mon admiration pour ces magnifiques interprètes que sont Trintignant et Riva : le film mérite d'être vu pour saluer leur travail... Et on peut se demander ce qu'éprouvent des comédiens qui jouent leur réalité : celle de la vieillesse.
19:37 Publié dans Ciné-club | Lien permanent | Commentaires (19) | Facebook | Imprimer
dimanche, 21 octobre 2012
Dans la maison... de Lucchini
Un immense bonheur ce dernier film de François Ozon "Dans la maison". Histoire très juste entre un professeur de Lettres et son élève doué d'un talent pour écrire... Cela devient tellement rare que l'enseignant décide d'accompagner l'adolescent dans cette aventure de l'écriture. Ecrire conduit à transgresser : on le découvre assez vite dans la mesure où maître et élève s'engagent dans la voie du socialement incorrect en pénétrant dans la vie d'une famille de classe moyenne.D'ailleurs ette famille perd son identité en tant que famille et devient objet littéraire de sorte qu'on ne sait plus qui sont réellement ces personnages puisqu'on ne les voit plus qu'à travers celui qui les décrit.
Qu'importe.
Ce n'est pas d'eux qu'il est question mais de l'acte d'écrire, de l'origine de la littérature.
Or nous sommes dans un temps qui n'aime pas la Littérature et rejette ce qu'elle a de dérangeant. Une époque nihiliste où l'art, représenté par l'épouse du professeur de Lettres, n'est que marchandise.
Oui la Littérature est voyeurisme et exhibitionnisme : mais transcendés par l'art. Curieusement à une époque où la téléréalité expose les histoires les plus intimes sur un média grand public, on parle de manipulation quand un apprenti écrivain s'invite dans une famille au nom de l'art.
Oui la Littérature répond à des manques.
Pour moi c'est le message du film d'Ozon. Le maître comme l'élève souffrent et comblent leur vide : absence de famille pour l'adolescent, échec de l'écriture pour l'enseignant.
J'ai eu la chance, et l'ai déjà évoqué ici, de faire une expérience d'écriture avec un groupe d'élèves. Ils avaient apporté leur imagination fabuleuse et moi ma modeste plume. Expérience passionnante... Le roman policier devant être publié (il est à ce jour épuisé) j'avais fixé comme contrainte : on ne règle pas ses comptes avec les professeurs lesquels avaient majoritairement acheté le livre par souscription. Ils avaient joué le jeu en ne choisissant que des enseignants qu'ils appréciaient... ce qui ne les avait pas empêchés de se défouler en leur attribuant des aventures invraisemblables.
Observer à travers mes élèves l'acte d'écrire avait été passionnant car j'avais découvert à quel point ces auteurs amateurs mettaient d'eux-mêmes dans des personnages à l'origine bien réels.
Je me demande souvent ce qu'ils sont devenus... des adultes honorables bien installés dans une vie de famille banale... mais ils auront eu cette lucarne de lumière à travers laquelle ils auront envisagé l'existence autrement.
10:35 Publié dans Ciné-club, Coups de coeur, Souvenirs de prof | Lien permanent | Commentaires (10) | Facebook | Imprimer