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jeudi, 15 janvier 2009

Femme d'un autre temps

medium_bol8.2.jpg Si on m'avait dit, dans les années 70, quand je militais-terme peut-être excessif, disons quand j'étais  très proche-

dans un mouvement "frère"  du MLF.

Souvenir souriant : on y organisait, entre autres, des cours de mécanique-auto. Un monsieur charmant guidait nos mains empruntées vers les bougies, le delco et autres curiosités que nous étions très fières d'approcher, comme dans un rite initiatique qui nous aurait donné accès à des mystères interdits.

Inutile de vous préciser que je n'ai jamais eu l'occasion de faire usage de ces connaissances précieuses, sinon pour étaler mon savoir chez le garagiste, au temps où les voitures avaient encore de la mécanique. Ce qui est toujours le cas de mon antique R5.

Donc si j'avais dû lire, à cette époque où j'étais abonnée à "Femmes en Mouvement", très belle revue féministe, ce texte de Georges Navel, j'aurais ricané. Aujourd'hui je le trouve délicieux. Comme la vie nous transforme.

medium_hernan.jpg "De temps à autre, un dimanche après-midi, le sergent-major en permission venait passer quelques heures à la maison. Marie l'accueillait dans la grande chambre, elle portait une longue jupe noire, un corsage à col montant et à manches longues. La courbe de sa coiffure un peu bouffante adoucissait son aspect d'institutrice d'orphelinat. Assise, près de la fenêtre, elle brodait. Le beau militaire, assis à distance, couvait de tendres regards la jeune fille qu'il avait rêvé de prendre pour épouse. Embarrassés l'un et l'autre la conversation languissait. Sur un guéridon recouvert d'un napperon brodé, ma mère avait déposé des tasses à café et des verres à liqueur."

Extrait de "Passages" de Georges NaveL

Les photos des tableaux ont été trouvées sur le blogue de Bernard.

Je ne serais pas non plus allée voir ce dernier film de Manoel de Oliveira, tourné par un jeune centenaire. "Miroir magique", film presque sans action, texte sublime, images magnifiques. Intériorité, lenteur, contemplation. L'histoire d'une belle jeune femme, dans une belle demeure qui est prise d'une dévotion éperdue pour la Vierge et attend son apparition. Une atmosphère  plus proche des films de Bunuel que de celle des films actuels. Mais il a juste cent ans Manoel de Oliveira.

Le temps passe, le présent nous bouscule, l'avenir nous inquiète, le passé nous rassure.

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dimanche, 11 janvier 2009

Je ne suis pas un héros

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Bizarre !

On apprend au lycée à parler des écrivains, à les analyser, on tartine pour le bac, à la fac

mais quand l'un d'eux pousse la porte des Xanthines

et s'assied tranquillement avec son épouse (mon mari dit toujours "mon épouse" alors il me semble que ça fait mieux)

à une des fameuses tables style école-maternelle (si, si on nous l'a dit) du bistrot

boit une bière

vous vous retrouvez toute intimidée et incapable d'écrire deux lignes sur ce monsieur dont le livre vous a pourtant régalée

et vous vous vous dites : quelles quantités de conneries j'ai dû écrire par le passé sur ces auteurs qui dans leurs tombes ne pouvaient pas protester.

Bon PAG  Pierre Autin-Grenier, ton indulgence s'il te plaît, je ne suis pas critique professionnel !

Pourtant lire "Je ne suis pas un héros" est la lecture adéquate pendant la période sirupeuse des vacances de Noël où les bons sentiments peuvent finir par vous écoeurer. D'ailleurs il y a des anges dans le livre de PAG même s'il les fait croquer par son chien où les écrase sous les roues de sa voiture. Mais PAG réhabilite les anges même si ne sont pas ceux de la crèche, "Les Anges dans nos campagnes" ce n'est pas tout à fait son genre...

Difficile de définir les petites histoires de PAG. Une image me vient à l'esprit. Ces textes sont comme des passes de rock'n roll. Vous démarrez une petite nouvelle, tranquille, bien rythmée dans un contexte charmant, rassurant même et hop ! vous ne vous y attendez pas,  vous vous retrouvez en un coup de reins et quelques mots balancé dans la poésie surréaliste, le fantastique le plus insolite ou la transgression la plus osée.

Que ce soit les monstres des cauchemars, la mort qui vous regarde dans les yeux, ou le bras qu'on perd en secouant la salade, le burlesque et l'insolite vous surprennent et vous saisissent sans que vous ayez pu réagir. Si vous lisez dans le bus méfiance ! Un simple coup d'oeil pour vérifier votre arrêt et, reprenant votre lecture, vous avez changé d'univers.

Ceci dit PAG nous délivre  de merveilleuses leçons de vie. Pour apprendre à apprivoiser le temps, tout un art. pour ne pas vous ennuyer avec les fâcheux : il suffit de se promener dans le désert du Kalahari (J'ai retenu la leçon mais moi je partirai pour le Taklamakan qui m'est plus familier).

Mieux, il n'hésite pas à liquider un complexe d'oedipe sans doute impossible en balançant sa mère par la fenêtre : là aussi j'ai retenu  la leçon.

Leçon ultime : plutôt que de vouloir refaire le monde, mieux vaut chasser les gastéropodes de ses bégonias ou déguster une bonne andouillette.

"Jadis j'étais comme un garçon de café égaré dans la philosophie. je courais d'une idée à l'autre, un plateau chargé de boissons de couleurs à bout de bras. J'aurais voulu trouver une clef à l'absurde et au dérisoire de tout l'univers. (...) Je n'éprouve plus le lancinant besoin d'élucider à moi seul toutes les énigmes du cosmos, ni de farfouiller dans la lingerie de l'enfance pour y dénicher les lambeaux de réponse à mon insouciance actuelle. Non, je mets simplement quelque maniaquerie à réaliser de mon mieux les deux ou trois choses inutiles inscrites à mon programme ; et pour le reste : que le Dieu des chrétiens s'en charge !"

"Je ne suis pas un héros" Pierre Autin-Grenier chez Folio

jeudi, 18 décembre 2008

Hommage au travail manuel

marteau.gifJ'ai exprimé le regret que le travail ne soit plus l'objet d'inspiration des écrivains et des artistes.

C'est pourquoi il faut découvrir Geoges Navel,

(1904-1993)

ouvrier, manoeuvre, paysan, autodidacte, libertaire.

"J'étais entré dans une forte équipe de Bretons, d'Angevins, de Picards bien représentatifs des terrassiers de Paris, qui pour la plupart sont de souche paysanne.

Leur pays les suit. Leur bec demeure paysan. Ils parlent lentement. Les noms des choses, dans leur bouche, disposent d'une force directe d'évocation. Qu'ils disent n'importe quoi, route, vin, pain, bouteille, on touche ce qu'ils nomment. Même s'ils ne gardent pas fidèlement l'accent de leur terroir, leur pays fait écho à leurs paroles. On est avec eux sur de la terre apprivoisée, arrangée, divisée, devenue de la campagne, des champs, des prés, d'un monde où l'homme a pu vivre comme un ouvrier dans son enclos. Si leur accent diffère, ces voix d'hommes qui ont appris à parler dans un jardin à blé, à pommes ou à betteraves, sont toujours rassurantes.

Les terrassiers de Paris allient la santé paysanne à la richesse du coeur ouvrier. Ils sont cordiaux et même fraternels. Dans la paix leurs manières sont celles de hommes en guerre, des hommes de la même tranchée, des hommes camarades."

Georges Navel  "Travaux" collection Folio

 

 

mercredi, 19 novembre 2008

J'ai rendu ma copie

Je ne sais pas si mon dernier sujet m'a trop affectée mais je n'avais pas envie de cliquer sur "nouvelle note" ces derniers jours.

Et puis Léopold m'a collé un devoir obligatoire qui a mobilisé mes neurones, enfin le temps où ils étaient mobilisables.

Six livres qui me représentent ? à mon âge difficile. Je ne sais pourquoi les plus anciens me sont revenus plus facilement en mémoire. Donc j'essaie, et tant pis pour toi Léopold si tu es déçu.

Il y a d'abord mes fondamentaux.

montaigne04.gif Montaigne et Balzac. Montaigne, c'est une découverte scolaire, au lycée. En seconde, j'étais dans un lycée de bonnes soeurs, mon professeur de Lettres était brillante et passionnante mais bien religieuse quand même.207010852X.08.MZZZZZZZ.jpg

Quand nous avons étudié Montaigne, j'ai perçu chez elle une certaine réticence. Car il y avait un "gros mot" dans les textes de Montaigne et c'était "scepticisme" : le doute est inutile chez les bonnes soeurs.

C'est bien sûr le mot qui m'a séduite ce qui ne m'a pas empêchée d'avoir des convictions.

Balzac, ce fut le coup de foudre immédiat et je ne saurais dire pourquoi. J'y reviens régulièrement

quand aucun livre ne m'attire

quand j'ai du mal à sortir d'une lecture et à en commencer une nouvelle, je lis un Balzac.

Curieusement si je devais  retenir un ouvrage en particulier, je ne choisirais pas le plus représentatif car ce serait

41WQ2YAK5FL._SS500_.jpg"La Peau de Chagrin"

un récit fantastique.

D'abord parce que j'aime les récits dans le récit.

Mais surtout à cause de sa problématique, posée au début, comme étant celle de l'existence : répondre à ses désirs et voir la vie se raccoucir ou s'interdire le désir et devenir vieux comme l'antiquaire.

Notre société ultra hygiéniste a d'ailleurs choisi pour nous : ne buvez pas, ne fumez pas,  faites du sport, nourrissez-vous d'Oméga 3, à l'exclusion de tout ce qui fait plaisir, et vous vivrez lontemps.

Je n'en ai pas fini avec l'adolescence.

J'ai eu une période à la fois mystique mais anti-morale chrétienne.

Je vous assure, c'est compatible.

C'est en cette période que j'ai lu et relu, "L'Ensorcelée" de Barbey d'Aurevilly,

2651-medium.jpg Encore un récit dans le récit.

L'abbé de La Croix-Jugan

le curé démoniaque

défiguré, enfoui sous son capuchon noir, parcourant à cheval la lande de Lessay, célébrant la messe au milieu des flammes (ou presque)

m'a profondément troublée

mais c'est une lecture que je ne pourrais reprendre aujourdhui.

D'ailleurs même à cette époque le le lisais en alternance avec

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toujours pas incompatible pour moi.

Pourtant je n'ai jamais été maoïste, à la Fac je me suis même bagarrée avec eux.

Je ne le lirais pas davantage aujourd'hui même si le coming out des maoïstes de ma génération m'exaspère, ils ont gardé le même dogmatisme.

Bref, en 68,  Barbey m'a protégée de Mao et aujourd'hui Mao m'empêche de devenir réac.

Je provoque un peu c'est vrai.

Le début de la maturité grâce à

 

Philip Roth et plus particulièrement

"Portnoy et son complexe".

5184C5Q8XBL._SL500_AA240_.jpgAvec Philip Roth une découverte : l'éducation juive peut être aussi étouffante que l'éducation catholique.
Depuis une ou deux décennies j'ai peu d'atomes crochus avec la Littérature française.
Donc je termine avec la littérature chinoise, une de mes passions.
La Chine, comme on sait, reste une civilisation de Lettrés.
Elle s'est construite au cours des millénaires autour d'une langue et d'une littérature.
L'enseignement chinois a été jusqu'à l'arrivée de Mao l'enseignement des classiques chinois.
Ainsi on peut ne rien connaître de la Chine en y étant allé mais la découvrir à travers ses auteurs.
Ce sera mon dernier livre
à sa lecture on connaît tout de la Chine, sans y être jamais allé.
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Maintenant il me faut à mon tour faire des victimes...

Léopold ayant choisi des femmes je tague au masculin et des jeunes car j'ai envie de savoir ce qu'ils lisent.

Stéphane

Faucon

Démon

Myster

Régis

Fulmar

dimanche, 02 novembre 2008

Amor omnia vincit

396px-Pr_Charcot_DSC09405.jpgAmor omnia vincit : lettres tracées sur une chemise contenant des carnets.

Ceux qui autorisent une biographie de fiction, celle de Blanche Wittman, enfermée à la Salpêtrière et devenue l'objet d'expérience préféré de Charcot.

C'est elle qui est représentée sur ce tableau, elle dont on ne sait rien d'autre mais à qui Per Olov Enquist invente une vie dans son roman

"Blanche et Marie".

Marie, c'est Marie Skłodowska Curie, récompensée deux fois par un prix NobeL

Dans cette fiction, Blanche serait devenue l'assistante de Marie. Histoire émouvante d'amitié entre deux femmes dont les destins illustrent la difficulté d'être femme au XIXème siècle.

Le siècle le plus abominable pour les femmes.

Blanche souffre d'hystérie, enfermée à la Salpêtrière avec 6000 femmes, toutes étant censées souffrir de cette maladie.

Charcot est le grand médecin spécialiste assisté de jeunes disciples dont Freud et Jung.

Quand on referme le livre, on se demande si ce ne sont pas ces médecins qui ont rendu ces femmes malades d'ailleurs la maladie n'a-t-elle pas disparu avec eux ?

"L'hystérie disparut purement et simplement. On lui donna d'autres noms."

Blanche est donc enfermée à 16 ans dans cet hôpital appelé Le Château et y restera également 16 ans. Plus tard, Enquist en fait l'assistante et amie intime de Marie Curie. Ce qui lui vaudra d'être amputée progressivement de tous ses membres et de terminer sa vie femme-tronc vivant sur ne caisse en bois à roulettes. Un cadeau du radium.

"Le radium, la mort, l'art et l'amour."

Quant à Marie, l'histoire nous rapporte une période noire de sa vie. Pierre est mort. Elle s'enfouit dans le deuil pendant trois ans. Elle revient à la vie avec une brève histoire d'amour. Paul Langevin, le savant devient son amant. Il est marié.

Éclate alors un scandale abominable. C'est une nouvelle affaire Dreyfus. Et ce sont les mêmes qui s'acharnent contre elles. Slogans, pierres, articles de presse contre "l'étrangère, juive et polonaise". Marie doit fuir. C'est à ce moment qu'lle reçoit le prix Nobel de physique, le second. Le premier, celui de Chimie elle l'avait partagé avec Pierre. À cause du scandale, l'Académie royale de Suède lui déconseille de venir recevoir son prix. Pourtant elle se présente courageusement.

Ce roman d'un écrivain suédois est absolument bouleversant. J'ai rarement lu, et je n'ose dire "jamais", sous la plume d'un homme une telle empathie vis-à-vis des femmes.

Reconstitution minutieuse de la Salpêtrière, un château des horreurs.

"Une forteresse dans Paris, un château. La Salpêtrière l'était réellement, et c'est là qu'on rassemblait les femmes qui avaient été troublées par l'amour. Celles qui avaient des moeurs dissolues, les vieillissantes, et celles qui étaient sur le point d'entrer en amour mais que l'impatience avait fait s'effondrer. Elles avaient ceci en commun : l'amour avait joué un rôle pour toutes, et elles avaient été déçues."

Parmi les patientes célèbres du docteur Charcot, Jane Avril, devenue danseuse au Moulin-Rouge et immortalisée par Toulouse-Lautrec.

S1068~Jane-Avril-1899-Posters-1.jpgHystérique, folle...ainsi était diagnostiquée une femme trop amoureuse ou qui sortait des clous à la fin du XIXème siècle.

Enfermée à la Salpêtrière.

Quant aux remèdes, on croit halluciner.

Charcot dessinait sur le corps de ses patientes des points dits hystérogènes. Il avait inventé une ceinture de compression ovarienne, censée agir sur ces points et freiner les crises.

Mais il était surtout célèbre pour ses séances d'hypnotisme. Il les pratiquait en public. Pas seulement avec des étudiants en médecine, non ! Il y avait des journalistes, le Tout-Paris se bousculait aux séances du docteur Charcot le vendredi.

Certaines patientes répondaient mieux que d'autres à ces soins et sont devenues des vedettes. Comme Blanche Wittman.

On a même parlé de supercherie.

Un livre vraiment émouvant et instructif.Un regard particulier sur l'hystérie qui pourrait n'avoir été qu'une maladie inventée par les hommes dans un siècle intolérant au désir des femmes.

Une_leçon_clinique_à_la_Salpêtrière.jpg

 

 

 

 

mardi, 28 octobre 2008

Brothers de Yu Hua

arton9145-b6aec.jpgYu Hua, écrivain chinois que je lis depuis dix ans et que j'aime tout particulièrement parce qu'incomparable. Une écriture prodigieuse. Comme Lao She, un auteur inclassable. Son dernier roman, "Brothers",  a été remarqué par le Courrier International. 

Yu Hua est né en 1960, il  était  enfant pendant la Révolution culturelle dont ses parents ont souffert. De ce point de vue "Brothers" est sans doute largement autobiographique. Mais ce qui m'émerveille dans tous les romans de Yu Hua, c'est la gamme infiniment variée des registres de langue qu'il utilise. Sans transition il passe de l'humour, de la dérision voire de la farce populaire à la tragédie, au pathétique, à la mélancolie.

Dans ce roman, lecteurs sensibles s'abstenir, le langage peut se faire scabreux voire scatologique.

C'est l'histoire de deux demi-frères, de la Révolution culturelle  à nos jours. L'un des frères réussit et devient homme d'affaires, l'autre connaît un destin tragique. L'histoire se passe dans un gros bourg au Sud de la Chine, le bourg de Liu. 

Le roman s'ouvre sur des pages dont je me suis particulièrement régalée. Il faut savoir, qu'en Chine, il est un problème pour les touristes qui parfois tourne au cauchemar, c'est celui des toilettes, préoccupation de tous les étrangers. D'abord parce que jusqu'à une période récente l'expression "toilettes publiques" étaient un pléonasme : il n'y en avait pas d'autres. On se retrouvait dans des espaces communs aux hommes ou aux femmes. Obligés de s'accroupir ensemble au-dessus d'une rigole ou d'une fosse d'aisance.

Peut-être que j'insiste trop mais c'est parce que ce roman débute aux toilettes. Le père d'un des deux frères est mort en tombant dans une fosse sceptique pour avoir essayé d'observer le derrière des femmes. La Chine était un pays pudique : encore dans les années 60,  aucune image de femmes nues.

"En ce temps-là, les toilettes publiques n'étaient pas comme aujourd'hui...A l'époque, seule une mince cloison séparait le coin des hommes de celui des femmes, et la tranchée qui courait en dessous était commune aux deux sexes. Les bruits on ne peut plus explicites de défécation et de jets d'urine qui provenaient du côté des femmes nous enflammaient l'imagination. Alors, à l'endroit où aurait dû se trouver votre derrière, vous glissiez avidement la tête et, les deux mains arrimées à la planche, le corps plié en deux, les yeux irrités par la puanteur, sans prêter attention aux asticots qui grouillaient autour de vous, tel un champion de natation qui s'apprête à plonger , vous lanciez votre tête et votre corps le plus loin possible en avant de façon à apercevoir la plus grande suface possible de postérieur."

C'est ici que commence l'histoire. L'un des deux frères se livre à cette acrobatie qui lui permet, avant d'être surpris par un importun, d'observer cinq derrières de femme.

"Celui qui plut à Li Guangtou, c'était celui qui n'était ni gros ni maigre. Il l'avait juste devant les yeux, c'était le plus rond des cinq..."

Ce petit derrière rond appartient à l'héroïne du roman dont le destin sera lié à celui des deux frères.

La première partie du roman se déroule ainsi pendant la Révolution culturelle. Elle anéantira leurs parents. Enfants livrés à eux-mêmes, les deux frères découvriront de  l'existence l'aspect le plus tragique. Yu Hua n'est pas tendre pour ses compatriotes. Les habitants du bourg de Liu s'adaptent trop bien aux exactions de la révolution. Les deux frères deviennent adultes, l'époque a changé. "Enrichissez-vous" est devenu le mot d'ordre et les habitants du bourg de Liu, de révolutionnaires deviennent consommateurs. Yu Hua emprunte à Kafka pour décrire la nouvelle folie qui saisit les villageois. Il joue avec l'absurde. C'est à ce moment que les chemins des deux frères vont diverger. Même le lien qui les unit n'est jamais rompu.

C'est vraiment une saga palpitante à lire pour comprendre l'évolution de la Chine durant ces dernières décennies.

IMGP0423.JPG Les toilettes dans un village du Guizou
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Yu Hua et l'une de ses traductrices.

mercredi, 01 octobre 2008

Le champion sans qualités.

à Pierre Ulm

La rentrée littéraire donne des indigestions, heureusement, j'étais partie...

Aujourd'hui, dans Télérama, je découvre la présentation d'un "roman" qui a des chances de m'intéresser.

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Tout d'abord parce qu'il est signé Jean Échenoz dont j'apprécie tout particulièrement l'écriture.

Mais aussi parce qu'il s'agit d'une biographie romancée : tout en étant dans la vérité Echernoz fait de ce sportif un personnage.

Voici les premières lignes de la critique de Nathalie Crom.

"Ce type-là n'a rien d'un héros. Encore moins d'une légende. On n'en finirait pas de décliner les symptômes de sa banalité. Ce n'est pas qu'il soit sot, non plus que spécialement intelligent.Ce n'est pas qu'il soit laid non plus que d'une beauté singulière. Certes, il est plutôt grand mais de là à dire qu'il a l'air d'un athlète... Non, en fait c'est juste un type qui ne fait "jamais, jamais rien comme les autres, même si c'est un type comme tout le monde."

 

"Courir" de Jean Échenoz aux Éditions de Minuit