vendredi, 02 janvier 2009
Saler la soupe
Après la poésie de l'inutile, éloge de l'utile.
Georges Navel, ouvrier baroudeur, terrassier itinérant exprime les sensations vécues dans l'humble labeur quotidien. Des sensations de femme, du quotidien de femme.
"Il ne m'en coûtait plus de préparer mon repas, de peler des pommes de terre. Au contraire, j'y trouvais une sorte de bonheur paisible, une satisfaction des mains. (...)
J'ouvrais avec une délicatesse mesurée la porte du placard pour prendre la salière ; la main sensible aux perceptions successives du bois du placard, du fer de son verrou, du verre de la salière et de la pincée qu'elle y puisait m'émerveillait. (...)
Pendant qu'elle tenait sa pincée de sel en petits cristaux, je savais ma main semblable à celle de toutes les grands-mères de la terre quand elles font le geste d'ouvrir la marmite pour saler la soupe, le geste que j'avais vu faire à ma mère, et je dialoguais avec elle dans la rapidité du songe : "Je sale ma soupe, ma main est la tienne, tu n'es pas morte."
C'était bien avant Philippe Delerm et bien plus profond.
Le pouvoir du geste est de nous libérer des angoisses, des souffrances. Quand on se concentre sur un geste du quotidien, quand le geste occupe le cerveau complètement, on ferme la porte aux papillons noirs des pensées désespérées et on retrouve la jubilation d'avoir "fait", même si ce n'est qu'une simple soupe.
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jeudi, 01 janvier 2009
1er janvier de poète
Dimanche 1er janvier
Jour de l'an
Est-ce bien la brise légère qui fait trembler l'eau du lac, ou n'est-ce pas plutôt la vieille coque du voilier bleu, engravée du côté des ajoncs ? Cette soudaine éclaircie dans le sombre du jour, la doit-on au soleil qui perce le silence ou à l'arbre nu dont les branches mortes un instant s'écartent, pour discrètement faire place à un pays plus lumineux ? Et les cailloux blancs, sur le bord du chemin, qu'attendent-ils si patiemment qui ne soit fervente promesse de lointains voyages ?
C'est à force de mépris pour toutes ces choses insignifiantes d'apparences que nous sombrons dans la folie de l'immédiatement efficace. Vivre requiert alors des tempêtes évidentes, des canicules féroces et des routes sans cailloux, vite tracées à travers plaines et montagnes. Au reste nous n'accordons un seul regard, pressés de l'inscrire au calendrier du temps perdu.
Au coeur de quelques-uns seulement, l'impérieuse nécessités des choses inutiles d'elle-même s'impose. Ils veillent ; soupèsent l'impondérable et protègent l'éphémère. Ils savent trop, au fond de leur désespoir tranquille, comment s'écroulerait soudainement le monde une fois supprimé tout ce qui ne sert à rien.
Pierre Autin-Grenier
Les radis bleus
Je vous ferai mieux connaître Pierre Autin-Grenier qui signe PAG sur ce blogue. Un écrivain à découvrir, il vit à Lyon l'hiver et j'ai eu le plaisir de le rencontrer aux Xanthines.
Pour cette année je vous souhaite de savoir recueillir et protéger l'inutile. Nous veillerons ensemble.
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jeudi, 18 décembre 2008
Hommage au travail manuel
J'ai exprimé le regret que le travail ne soit plus l'objet d'inspiration des écrivains et des artistes.
C'est pourquoi il faut découvrir Geoges Navel,
(1904-1993)
ouvrier, manoeuvre, paysan, autodidacte, libertaire.
"J'étais entré dans une forte équipe de Bretons, d'Angevins, de Picards bien représentatifs des terrassiers de Paris, qui pour la plupart sont de souche paysanne.
Leur pays les suit. Leur bec demeure paysan. Ils parlent lentement. Les noms des choses, dans leur bouche, disposent d'une force directe d'évocation. Qu'ils disent n'importe quoi, route, vin, pain, bouteille, on touche ce qu'ils nomment. Même s'ils ne gardent pas fidèlement l'accent de leur terroir, leur pays fait écho à leurs paroles. On est avec eux sur de la terre apprivoisée, arrangée, divisée, devenue de la campagne, des champs, des prés, d'un monde où l'homme a pu vivre comme un ouvrier dans son enclos. Si leur accent diffère, ces voix d'hommes qui ont appris à parler dans un jardin à blé, à pommes ou à betteraves, sont toujours rassurantes.
Les terrassiers de Paris allient la santé paysanne à la richesse du coeur ouvrier. Ils sont cordiaux et même fraternels. Dans la paix leurs manières sont celles de hommes en guerre, des hommes de la même tranchée, des hommes camarades."
Georges Navel "Travaux" collection Folio
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dimanche, 23 novembre 2008
Sur les quais
Mon dernier séjour au Havre m'a permis de découvrir une exposition particulièrement intéressante, dédiée aux
Ports, docks et dockers
de Boudin à Marquet.
Cette exposition étant réalisée en collaboration anec le musée des Beaux-Arts de Bordeaux
je signale à mes amis girondins
qu'ils pourront l'admirer à Bordeaux
du 26 février au 14 juin 2009.
Les peintures marines ont toujours occupé une large place dans la tradition artistique européenne.
La particularité de cette magnifique exposition est qu'elle est centrée sur la métamorphose des ports à l'ère industrielle, donc très orientée sur l'activité économique des ports aux XIXème et XXème siècles.
Le développement industriel des ports a inspiré les impressionnistes.
C'est au tableau du port du Havre
"Impression au soleil levant", par Monet, que l'École impressionniste a trouvé son nom, à l'origine péjoratif d'ailleurs, un critique l'ayant tourné en dérision. Boudin, ami de Monet et natif de Honfleur a célébré la ville qui lui a permis de faire des études aux Beaux-Arts à Paris mais on retrouve sur ses toiles des ports de toute l'Europe. Marquet, né à Bordeaux un peu plus tard et proche des peintres dits "Fauves", a également voyagé avec son pinceau de port en port.
"Et on voyait d'autres navires, coiffés aussi de fumée, accourant de tous les points de l'horizon vers la jetée courte et blanche qui les avalait comme une bouche, l'un après l'autre. Et les barques de pêche et les grands voiliers aux mâtures légères glissant sur le ciel, traînés par d'imperceptibles remorqueurs, arrivaient tous, vite ou lentement, vers cet ogre dévorant, qui, de temps en temps, semblait repu, et rejetait vers la pleine mer une autre flotte de paquebots, de bricks, de goélettes, de trois-mâts chargés de ramures emmêlées. Les steamers hâtifs s'enfuyaient à droite, à gauche, sur le ventre plat de l'Océan, tandis que les bâtiments à voile, abandonnés par les mouches qui les avaient halés, demeuraient immobiles, tout en s'habillant de la grande hune au petit perroquet, de toile blanche ou de toile brune qui semblait rouge au soleil couchant."
Maupassant "Pierre et Jean"
Mais l'intérêt de cette exposition est surtout dans la représentation du travail par la majorité des oeuvres retenues.
Cette époque qui a vu exploser le traffic maritime a fait émerger de nombreux métiers.
Au coeur du port était la manutention.
Les travailleurs des ports étaient des intermittents, employés sur des temps limités. Pauvres et indépendants.
Dockers mais aussi charbonniers, arrimeurs, débardeurs, grutiers, voiliers, charretiers... Tous journaliers. Embauchés le matin par des petits chefs qui évitaient les fortes têtes.
C'est la vie de tous ces travailleurs que retrace l'exposition, non seulement à travers des peintures mais aussi des sculptures, des photos, des films.
J'ai découvert un sculpteur belge que j'ai trouvé particulièrement intéressant.
Constantin Meunier. Peintre et sculpteur, il a consacré toute son oeuvre au monde ouvrier.
J'ai particulièrement aimé cette statue, "le débardeur". Le visage est dur mais le corps, souple, fin, nonchalant rappelle les éphèbes grecs. Curieux, non ?
Ce fut l'occasion d'une interrogation
Pourquoi le travail n'est-il plus, que ce soit pour le magnifier ou le dénoncer,
source d'inspiration
dans l'art contemporain comme dans la Littérature ?
Disparition du travail manuel
pénible mais spectaculaire ?
Travail trop abstrait ?
En devenant "emploi" le travail a-t-il été récupéré par les spécialistes des sciences dites humaines perdant son pouvoir d'attraction sur les artistes ?
Analyse : Peindre le travail ouvrier
22:47 Publié dans Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : le havre, boudin, marquet, exposition | Facebook | Imprimer
mercredi, 19 novembre 2008
J'ai rendu ma copie
Je ne sais pas si mon dernier sujet m'a trop affectée mais je n'avais pas envie de cliquer sur "nouvelle note" ces derniers jours.
Et puis Léopold m'a collé un devoir obligatoire qui a mobilisé mes neurones, enfin le temps où ils étaient mobilisables.
Six livres qui me représentent ? à mon âge difficile. Je ne sais pourquoi les plus anciens me sont revenus plus facilement en mémoire. Donc j'essaie, et tant pis pour toi Léopold si tu es déçu.
Il y a d'abord mes fondamentaux.
Montaigne et Balzac. Montaigne, c'est une découverte scolaire, au lycée. En seconde, j'étais dans un lycée de bonnes soeurs, mon professeur de Lettres était brillante et passionnante mais bien religieuse quand même.
Quand nous avons étudié Montaigne, j'ai perçu chez elle une certaine réticence. Car il y avait un "gros mot" dans les textes de Montaigne et c'était "scepticisme" : le doute est inutile chez les bonnes soeurs.
C'est bien sûr le mot qui m'a séduite ce qui ne m'a pas empêchée d'avoir des convictions.
Balzac, ce fut le coup de foudre immédiat et je ne saurais dire pourquoi. J'y reviens régulièrement
quand aucun livre ne m'attire
quand j'ai du mal à sortir d'une lecture et à en commencer une nouvelle, je lis un Balzac.
Curieusement si je devais retenir un ouvrage en particulier, je ne choisirais pas le plus représentatif car ce serait
"La Peau de Chagrin"
un récit fantastique.
D'abord parce que j'aime les récits dans le récit.
Mais surtout à cause de sa problématique, posée au début, comme étant celle de l'existence : répondre à ses désirs et voir la vie se raccoucir ou s'interdire le désir et devenir vieux comme l'antiquaire.
Notre société ultra hygiéniste a d'ailleurs choisi pour nous : ne buvez pas, ne fumez pas, faites du sport, nourrissez-vous d'Oméga 3, à l'exclusion de tout ce qui fait plaisir, et vous vivrez lontemps.
Je n'en ai pas fini avec l'adolescence.
J'ai eu une période à la fois mystique mais anti-morale chrétienne.
Je vous assure, c'est compatible.
C'est en cette période que j'ai lu et relu, "L'Ensorcelée" de Barbey d'Aurevilly,
Encore un récit dans le récit.
L'abbé de La Croix-Jugan
le curé démoniaque
défiguré, enfoui sous son capuchon noir, parcourant à cheval la lande de Lessay, célébrant la messe au milieu des flammes (ou presque)
m'a profondément troublée
mais c'est une lecture que je ne pourrais reprendre aujourdhui.
D'ailleurs même à cette époque le le lisais en alternance avec
toujours pas incompatible pour moi.
Pourtant je n'ai jamais été maoïste, à la Fac je me suis même bagarrée avec eux.
Je ne le lirais pas davantage aujourd'hui même si le coming out des maoïstes de ma génération m'exaspère, ils ont gardé le même dogmatisme.
Bref, en 68, Barbey m'a protégée de Mao et aujourd'hui Mao m'empêche de devenir réac.
Je provoque un peu c'est vrai.
Le début de la maturité grâce à
Philip Roth et plus particulièrement
"Portnoy et son complexe".
Maintenant il me faut à mon tour faire des victimes...
Léopold ayant choisi des femmes je tague au masculin et des jeunes car j'ai envie de savoir ce qu'ils lisent.
17:25 Publié dans Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : lyon, littérature, vive la vie | Facebook | Imprimer
vendredi, 14 novembre 2008
Merci de ne pas claquer la porte en partant
à Debla,
Une porte claquée au nez. C'est le sentiment que j'ai eu en trouvant fermé le blogue d'Aliscan le poète. Heureusement il a laissé une chambre d'amis ouverte, celle du poète Jean-Paul Toulet qu'il nous a fait découvrir au fil de ses billets.
Un blogue qui disparaît, un blogue fréquenté régulièrement, avec plaisir, amitié, émotion, c'est toujours pour moi une grande tristesse.
Je comprends bien sûr la lassitude, l'envie de partir quand on a le sentiment de n'avoir plus rien à partager.
La nécessité irrépressible de cliquer sur la touche "supprimer" quand on n'a plus rien à dire.
Mais je comprends moins ce petit coup de souris assassin, coup de grâce à ce qui a été, pourtant, l'objet de soins et d'attention vigilante.
Et puis il y a les archives.
Il faut penser quon peut avoir envie d'aller farfouiller dans les archives d'un blogue abandonné, comme on aime le faire dans le grenier d'une grand-mère.
Ainsi j'ai apprécié qu'Ashab laisse sa maison ouverte pour nous permettre de retrouver, à l'occasion, le titre d'un livre d'enfant qu'il avait présenté auparavant.
D'ailleurs Ashab, je devrais passer te voir bientôt.
Hier soir, une furieuse envie de flâner. Je suis retournée sur le blogue de Bernard, l'un des premiers que j'ai connus dans la blogosphère. Il n'écrit plus mais il est toujours là avec plusieurs centaines de commentaires.
J'ai même découvert des blogues après le décès de leur auteur, comme celui passionnant de Dominique Autié que j'ai connu grâce à Louis-Paul.
Un blogue d'une telle richesse que je ne pense pas parvenir un jour à l'explorer complètement.
Donc quand vous quittez la blogosphère pensez à ceux qui ont envie que vous laissiez la porte ouverte et n'éteignez pas la lumière.
00:24 Publié dans Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : vive la vie | Facebook | Imprimer
jeudi, 13 novembre 2008
Le clown se meurt
Nostalgie d'une chanson émouvante envoyée par une amie. Magie de l'italien, une langue qui a elle seule est poème..
00:20 Publié dans Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (8) | Facebook | Imprimer